Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • L'abbé Luc Caraguel donne son avis au sujet du "Son et lumière" dans l'église Saint-Vincent

    "J’ai été le curé de Saint Vincent pendant 12 ans, j’estime donc légitime de prendre la parole au sujet de la polémique qui s’amplifie actuellement, et ce, malgré mon éloignement. Très sensible à l’alerte lancée par le Blog « La vie à Carcassonne » je souhaite donc vous préciser ma position. Au lendemain du conseil municipal du 6 mars, j’ai pu lire de plus près la convention votée en mairie ; j’ai donc pris le temps de l’étudier en profondeur. 

    Il y a maintenant deux ans, j’étais convoqué par le maire de Carcassonne pour la présentation de ce son et lumières, que j’ai refusé clairement d’accueillir, au terme de deux réunions de travail. J’ai consulté par ailleurs le service juridique de la conférence des évêques de France, et ce que je pensais s’est avéré juste : il y a dans cette occupation de 10 ans une contradiction juridique avec les termes de la Loi concernant l’affectation des églises qui est gratuite, perpétuelle et exclusive. Par ailleurs j’ai formellement contesté le manque de précisions sur la préservation des œuvres d’art, tableaux et orgues en particulier. J’en ai informé l’évêque à qui j’ai fait part de mes arguments qu’il n’a pas contredits à ce moment-là. L’affaire s’est donc arrêtée là. Or quelle n’a pas été ma surprise de voir ressurgir ce dossier, et d’apprendre du vicaire général dans un article daté du 11 mars (que je citerai à plusieurs reprises) que « sur le principe, avec l’évêque Mgr Bruno Valentin, on s’est dit pourquoi pas ? ».  

     Ah, vraiment si la constance et la clarté avaient prévalu du côté du clergé, nous n’en serions pas arrivés à cet imbroglio pagnolesque ! De fait l’accord pour un tel projet relève du curé, mais l’évêque pour sa part, est tenu de faire respecter le Droit dans son diocèse : j’entends le Droit de la Loi de séparation de 1905, et le Droit de l’Eglise.  

    A ce sujet, une note très pertinente du service juridique et de l’Art Sacré du diocèse de Paris précise : « La mise en place d’équipements lourds (estrades, praticables, colonnes de sonorisation, dispositifs d’éclairage) demandant des jours d’installation, suffit à transformer une église en salle de spectacle : même pour l’exécution d’œuvres religieuses à des fins très louables, ce détournement doit être, normalement, refusé. Car l’assimilation de l’édifice religieux à un simple équipement culturel est d’autant plus tentante que, pour beaucoup, le phénomène chrétien est en voie de liquidation. » Quel beau démenti à ce qui se trame autour de Saint Vincent ! 

    Quand la délibération du conseil municipal du 6 mars précise que « en outre, conformément à la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat : l’église restera affectée prioritairement au culte », elle contrevient à la législation qu’elle cite, puisque celle-ci précise que l’église est affectée exclusivement au culte. A ce qu’il me semble, un conseil municipal ne peut réécrire la Loi en ouvrant la voie à une « double affectation ». Ce socle de 1905 est la base de notre laïcité, je ne vois pas au nom de quel règlement local, on viendrait lui apporter quelque inflexion que ce soit. 

    Qu’une commune ou un prestataire de services soit en capacité d’octroyer ou non la possibilité d’organiser des célébrations en complément d’activités culturelles équivaut à une intervention de la sphère politique dans le monde religieux. Or, c’est bien l’esprit et la lettre de cette convention. A titre d’exemple j’ai reçu à Saint Vincent de nombreux groupes de pèlerins en partance pour Lourdes qui demandaient une messe selon leur convenance, des organistes venant répéter les concerts et les célébrations en dehors des heures d’ouverture, ou encore des familles organisant une veillée de prière avant les funérailles de leurs proches… Nul n’est besoin de se justifier, ou de demander une autorisation pour cela. Ceci ressemble fort à un holdup de la notion juridique d’« affectataire » qui est passée dans ce texte du curé au maire, et qui fragilise la convention sur un plan strictement légal. 

    Le père Simplice Akpaki affirme qu’il ne signera pas si « cela bouscule les horaires de messes », mais c’est bien ce qui transparaît dans la convention qui mentionne une amplitude horaire (à partir de 18h, au même moment que la plupart des offices) et une occupation quasiment toute l’année !  

    Par ailleurs, il est difficile de prétendre mettre des conditions pour une signature à venir, alors que celle-ci a déjà été apposée sur le document officiel : « l’affectataire du culte a donné son accord à la Ville pour le présent projet » (même délibération du 6 mars). Le sujet est trop sérieux pour que la commune se soit contentée d’un simple assentiment oral. Comprenne qui pourra ! 

    Pour sa part, monseigneur Valentin avait rejoint voici 5 ans un groupe d’évêques très conservateurs, afin de déposer un recours auprès du Conseil d’Etat et exiger ainsi la reprise des messes lors de la crise du Covid. Il serait paradoxal qu’il soit également celui qui accepte de limiter l’exercice du culte dans une des églises les plus emblématiques de son diocèse. Une fois de plus comprenne qui pourra ! 

    Il n’est donc pas interdit de se demander si le curé et l’évêque ont vraiment lu le texte soumis au vote des élus, ainsi que ses annexes, et s’ils l’ont transmis pour relecture à des juristes compétents.  

    A travers un argumentaire sérieux, des votes contre ou des abstentions, les oppositions se sont manifestées lors du dernier conseil municipal dans une belle leçon de démocratie : tant mieux car cette convention se révèle pire encore que ce que je craignais. 

    Parmi les florilèges soulevés je suis tombé des nues en découvrant qu’il est envisagé d’obstruer les vitraux pour permettre d’organiser plusieurs spectacles d’affilé lors des soirées d’été ; je suppose qu’il s’agit là d’accroitre la rentabilité de l’affaire. Voilà donc qu’à Narbonne on organise une exposition sur les vitraux de Saint Just, et qu’à Carcassonne on occulte les vitraux de Saint Vincent après les avoir fait restaurer ! Où se trouve la logique ? 

     Pour ce qui est des tableaux, on peut se demander s’il existe un seul musée en France qui accepterait des spots volumineux suspendus au-dessus des œuvres d’art (avant de les accrocher on ferait mieux de mener des investigations pour détecter la présence de fresques). Ou si le Louvre tolèrerait au milieu de ses collections des flashs lumineux incessants, des brumisateurs et des brouillards d’ambiance garnis de matières dangereuses pour la peinture ? Je ne parle même pas des deux orgues, qui craignent plus que tout l’humidité et les variations de température. Est-ce ainsi que l’on entend préserver et valoriser le patrimoine ? 

    L’emprise des tours métalliques prévues est inconcevable dans une église de style gothique méditerranéen où l’on peut embrasser d’un regard l’ensemble de l’édifice. Nous aurions donc des monstres de fer de part et d’autre du chœur, d’autres autour de la chaire, et au pied de la tribune d’orgue ?  

    Le curé affectataire a donc tort d’affirmer que « le patrimoine de l’église… ne sera pas endommagé ». 

    On ne peut pas prétendre valoriser un bâtiment contre lui-même, et il est clair que la DRAC ne pourra accepter ce projet sans exiger une sérieuse étude d’impact pour un édifice qui est tout de même un monument historique soumis à des règles strictes. 

    Pour ce qui est du culte, je ne puis m’empêcher de penser que se cache en fait une stratégie qui dépasse les affaires municipales et vient rejoindre les non-dits épiscopaux. Les instances diocésaines ne profiteraient-elles pas de l’occasion pour déplacer les célébrations à la cathédrale, avec en ligne de mire le projet d’installation de la très conservatrice communauté Saint Martin ? Les Carmes en panne, Saint Vincent hors-jeu, ce serait un boulevard pour des cérémonies rutilantes et pompeuses à Saint Michel, faisant des autres églises des coquilles vides. Et puisque la brèche s’est ouverte, une question douloureuse se pose à tous les catholiques qui pourraient regarder cette affaire de loin : après l’église Saint Vincent, à qui le tour ? Quels autres édifices religieux de la ville et du diocèse seront-ils ainsi abandonnés ?  

    Nous avions longuement échangé avec l’abbé Cazaux au sujet de ce spectacle. Malgré sa santé déclinante, il n’avait rien perdu de sa vivacité d’esprit, m’exprimant son incompréhension et son opposition à ce projet. Si j’évoque sa mémoire, c’est parce je crois que nous en sommes arrivés au cœur d’une seconde « affaire Saint Vincent ». Aujourd’hui, à la différence de la fameuse grève de la faim qui n’a pas pu empêcher la construction d’une verrue, les réseaux sociaux jouent un rôle de lanceurs d’alertes efficaces, et à ce titre, je salue monsieur Martial Andrieu qui n’a pas craint de s’exposer pour informer le grand public. 

    Je ne me positionne pas sur la manière la plus adéquate d’attirer les touristes en Centre-ville, mais comme beaucoup je m’interroge sur le caractère irréaliste des chiffres de fréquentation espérés. Je n’ai d’ailleurs pas compris la charge de culpabilité qu’on fait porter sur les épaules des opposants au projet, qui ne sont tout de même pas responsables de la désertification du Centre-Ville ! 

    Ce que je puis dire c’est que dans le plus grand et plus bel édifice de la Bastide, rien ne peut se concevoir contre le patrimoine, contre la Loi, et contre la vie spirituelle de la communauté chrétienne."

    Luc Caraguel