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Cruauté et actes de barbarie dans la prison de Carcassonne à la Libération

Après le 20 août 1944, alors qu’il n’y a plus un seul allemand dans Carcassonne, l’heure des comptes a sonné. La foule, avide de vengeance, réclame la tête de tous ceux qui se sont compromis avec l’occupant nazi. Peu importe finalement le prix, les traitres devront être châtiés. Tout ce monde se souvient de Trassanel, de Baudrigue et dernièrement du massacre au Quai Riquet. À défaut de pouvoir s’en prendre aux principaux responsables de ces exactions, leurs suppôts français devront subir la sentence populaire. Il s’agit principalement des miliciens et collaborateurs ayant porté les armes contre la Résistance. La cohorte de ces individus avait fui Carcassonne le 15 août 1944 à l’appel de son chef, Joseph Darnand. N’ayant pu passer à Nîmes, elle avait dû se résoudre à tenter un passage en Espagne. La frontière étant bien gardée, les chefs audois disloquèrent la milice à Perpignan, laissant chacun à son sort. Les moins compromis s’en retournèrent chez eux, convaincus naïvement de n’avoir rien à craindre. Ceux qui les avaient poussé à commettre des crimes, passèrent en Espagne. Ils revinrent à Carcassonne après l’amnistie de 1951. La police politique de l’Aude n’eut qu’à aller cueillir, assez facilement d’ailleurs, les anciens membres de la milice revenus dans leurs foyers. Certains se constituèrent prisonniers. Il s’agit le plus souvent de jeunes hommes ou de chefs subalternes n’ayant eu qu’une action de soutien aux opérations de répression ou de délation. Ce sont ceux-là qui, en majorité, payèrent l’addition.

Durant la dernière semaine du mois d’août 1944, on institua une Cour martiale à Carcassonne afin de juger les traitres. Celle-ci délibéra à l’intérieur du Palais de justice sous la présidence du commandant Bousquet. Parmi les jurés se trouvaient des maquisards appartenant tous aux FTPF. C’est-à-dire à la résistance communiste. Le gibier d’hier allait juger les chasseurs. Pouvait-il se rendre magnanime ? Avant que l’on juge les suspects, il fallut les déférer devant ce tribunal militaire. C’est le commandant des FFI de l’Aude, lui-même communiste, qui s’en chargea. Georges Morguleff avait remplacé Jean Bringer après son arrestation. On alla donc quérir un par un à la prison départementale, les miliciens arrêtés depuis le 22 août 1944 afin de les faire comparaître. Aussi expéditive que soit la justice, elle se devait d’instruire et d’obtenir les aveux des suspects.

Dès la Libération, Julien Daraud avait été nommé comme chef de la police politique par Francis Vals et le préfet Augé. Le résistant s’était organisé afin de doter la prison départementale d’une nouvelle administration. Il désigna Julien Céréza, adjudant de carrière, comme directeur avec l’accord du Comité départemental de Libération. Céréza et son adjoint, un ancien gardien de prison révoqué par Vichy, choisirent des gardiens subalternes. Pendant cette période, la maison d’arrêt fut livrée au désordre le plus absolu. N’importe qui y entra, souvent sous la pression et la menace, comme dans un zoo où l’on aurait enfermé des bêtes féroces. Dépassés, les gardiens ne purent que laisser la cruauté s’y installer et en constater les sombres effets. Avant chaque interrogatoire des détenus par d’anciens policiers du commissariat, une équipe spéciale prit soin de les préparer. Un pâtissier de la rue de Verdun, ancien boxeur, y trouva un là un excellent lieu d’entraînement. Tous les jours jusqu’au 7 septembre à partir de 21h30, une équipe de neuf maquisards FTPF s’employa à torturer deux ou trois prisonniers de la manière la plus atroce. Les tortionnaires allaient chercher leurs victimes dans leurs cellules et les amenaient nues au sous-sol. Le ceinturon de Hams, ressortissant polonais, guidait la cadence sur le corps de ces hommes. À côté des cuisines, se trouvait un local pour y déposer le charbon. Après quelques questions anodines rythmées de gifles et de coups de poings, le traitement spécial exercé par ces bourreaux enivrés débutait. Ils se servaient d’abord du plat d’une lame de sabre frappée sur le dos des victimes. Le tison rougi d’une pique à viande faisait également partie de la panoplie utilisée dans les chairs des suppliciés. Ensuite, ils plaçaient les mains puis les pieds dans une presse à copier et serraient jusqu‘à écrasement des membres. Enfin, ils terminaient invariablement leurs séances en arrosant le corps avec de l’essence ou de l’alcool à brûler en y mettant le feu. Ils poussaient même la cruauté jusqu’à laisser leurs victimes éteindre elles-mêmes les flammes en se roulant dans la poussière de charbon de la pièce. 

Qui n’entendait pas crier et supplier les bourreaux d’en finir ? Les gardiens s’ils n’étaient pas complices, essayèrent de faire stopper ces tortures. Cependant, sous la menace ils durent laisser faire. On alerta Julien Daraud. Il publia une circulaire et se rendit à la prison pour la reddition des bourreaux. Il ne dut son salut qu’à Jean Sébédio dit Le sultan, ancien joueur de l’ASC, qui prit en main la direction de la prison. Il parvint à la débarrasser de ces sauvages et à en contrôler l’entrée à partir du 9 septembre 1944.

Des conséquences de ces tortures, plusieurs hommes sont morts avant de passer en jugement. Nous évoquerons le cas de ce jeune milicien de 21 ans, décédé dans les bras de Sébédio et de l’aumônier Auguste-Pierre Pont. Les coups portés sur lui, lui éclatèrent le foie. Dans son interrogatoire, il reconnut avoir obéi à l’ordre de ses chefs sans tirer un seul coup de feu : « J’affirme une fois de plus que je n’ai pas fait de coups de feu contre les patriotes français, mais je reconnais que si j’en avais reçu l’ordre, je n’aurais pas hésité à tirer sur les maquisards que je croyais être des bandits. » Son père qui l’avait encouragé à entrer dans la Franc-Garde, faisait de la propagande pour la milice. Au sortir de la Cour martiale, celle-ci lui reconnut des circonstances atténuantes en raison de sa non participation à l’action armée. On ne le condamna pas à mort, mais à 20 ans de Travaux forcés. Les maquisards qui le ramenèrent à la prison, jugeant que le verdict avait été trop clément, rendirent leur justice. Au retour du tribunal, la voiture dépassa la porte principale de la prison et s’engagea dans un petit chemin qui borde le mur d’enceinte. Un coup de feu retentit, la portière s’ouvrit et l’homme tomba sur le bas-côté de la route. Comme il vivait toujours, le meurtrier descendit et l’acheva d’une balle dans la tête. Les dénommés Pedro, Jules et Raymond prétendirent que le détenu avait cherché à s’évader. Il ne pouvait en être rien, puisque l’homme avait été traîné au tribunal. On lui avait préalablement écrasé les pieds dans la presse à copier.

Un autre homme est mort dans d’atroces souffrances après une agonie de deux mois. Il s’agit d’un comte dont les trois enfants avaient été dans la Franc-Garde. Ils étaient en fuite en Espagne avec les chefs de la milice. Que savait le comte de l’endroit où ils se trouvaient ? Sûrement rien. Toutefois, l’équipe de bourreaux entrepris de le faire parler. Il subit le même traitement que ceux passés entre les griffes de ces barbares, agissant en toute impunité dans une période de guerre civile. À plusieurs reprises, ils invitèrent avec cynisme le comte à suicider mais sa croyance ne le lui permettait pas. Son état de loque encore vivante n’offrait pas la possibilité de le passer en Cour martiale ; il aurait été intransportable devant le peloton. On l’envoya à l’hôpital où le chirurgien Jacques Héran fut chargé de lui prodiguer des soins. Les conclusions de ce médecin après le décès de ce comte, sont pour le moins hors de l’imaginable : « Brûlures de toute la face postérieure du corps (tronc, siège et cuisses). Ces lésions étaient du 2e degré. Elles étaient plus marquées (3e et 4e degrés) au niveau du périnée, pourtour de l’anus et des bourses. Espèces d’éclatement des pommes des mains et des plantes des pieds avec contusions des parties molles environnantes. Début octobre 1944, il est apparu une paralysie du membre supérieur droit avec aphasie et confusion mentale, troubles liés à l’auto-intoxication des brûlures. Les blessé est mort le 30 octobre 1944 dans un état d’urémie."

D’autres prisonniers que l’on amena vers le peloton d’exécution se trouvait dans un tel état que l’on dut les traîner. L’un d’entre eux avait tellement les chairs à vif et la peau qui se détachait qu’il fut impossible de lui mettre une chemise. L’autre, c’était les pieds qui ne rentraient plus dans des chaussures. Bien entendu, l’historien doit toujours étudier les événements dans le contexte d’une époque où les français avaient souffert. Toutefois, la vraie résistance eut beaucoup de mal à avaler les actions de ces maquisards de la 25e heure. Ils furent condamnés en 1950 devant le Tribunal militaire de Bordeaux pour actes de cruauté, vols et pillages. Hams, dont nous avons parlé ne sera jamais retrouvé. Ancien soldat, déserteur de l’armée allemande après une attaque à Couiza, il avait été enrôlé dans le maquis FTPF Jean Robert.

Sources

107W607 / ADA 11

Cour de justice de l'Aude / Archives de l'Hérault 

Procès du Tribunal militaire de Bordeaux / 18 novembre 1950

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Commentaires

  • Incroyable! A quoi furent donc condamner ces tristes personnages qui firent ainsi l'innomable à des personnes qui tout compte fait n'avaient pas fait grand chose de répréhensible et qui la plupart si j'ai bien compris étaient des jeunes qui avaient obéis aux ordres ? Les donneurs d'ordre ayant réussi à s'enfuir en Espagne. Je venais de naître et tout ça se passait alentour de mes cris. Incroyable! et angoissant.

  • S'il vous plaît (à 87 ans, j'ai toujours l'amour de la langue et de ses accords qu'en 1943, un certain Mr Faure m'a apprise à l'école publique de Trèbes) :
    condamnés (et non : condamner)
    obéi (et non : obéis)
    Et sans rancune, l'ami !
    F.C.

  • Bonjour, cela confirme les dire de mon père dont le sien qui était gardien de prison savait qu'une personnalité de pennautier ( que je ne nomme pas) avait été torturée avec un tisonnier rougi au feu.... on ne dira pas la suite. Cette personnalité organisait des repas avec les allemands dont les serveuses étaient très légèrement vétues. Il me semble qu'il m'avait parlé aussi de la baignoire dont on arroser les prisonniers avec de l'essence et de les flamber. C'est l'occasion de témoigner puisque cela parait impensable. Cordialement

  • La personne citée de Pennautier était père de cinq enfants, chevalier de la légion d’honneur, croix de guerre, médaillé de Verdun, volontaire de 1939, elle était arrêtée pour ses idées monarchistes. Complètement dénudé, le malheureux dut d’abord s’asseoir sur la pointe d’une baïonnette, puis il eut les espaces métacarpiens sectionnés, les pieds et les mains broyés. Les bourreaux lui transpercèrent le thorax et le dos avec une baïonnette rougie au feu, puis le réanimèrent pour lui verser du pétrole enflammé sur les plaies. Il ne devait mourir que 55 jours plus tard dans des souffrances de damné ». Quant aux repas avec les allemands nous sommes en plein ragots. Les tristes personnes qui ont commis ces horreur n'ont pas été inquiétés car il y avait les lois d'amnistie et les crimes de guerres sont prescrit au bout de cinq ans ( convention de Genève).

  • Tout est exact, sauf que cet homme, dont je souhaitais que l'on révélât l'identité car sa famille actuelle n'est pas responsable de ce qui s'est passé il y a 79 ans, n'était pas seulement monarchiste. Il avait reçu Charles Maurras chez lui et avait été pressenti pour remplacer Grosset-Grande comme chef départemental de la Milice. Il n'a jamais porté les armes, mais faisait de la propagande pro-allemande. La vérité historique doit être dite dans son ensemble.

  • Si je comprends bien, le fait de recevoir Charles Maurras et d'être pressenti pour remplacer Grosset-Grande méritait les horribles châtiments dont il fut victime? Ce dont il faut se méfier au plus haut point : c'est la propagande communiste.

  • Je ne peux pas commenter les intentions de ceux qui voulaient la peau du comte. Il n’existe pas de rapports de son interrogatoire. Que le comte ait été anti-communiste c’est une évidence et dans son intérêt. Toutefois, tous les aristocrates ne se sont pas rangés derrière la lutte armée contre la Résistance. Nombreux ont d’abord choisi de résister contre les Allemands et à la libération contre les communistes. Le comte a payé pour avoir accueilli les officiers allemands chez lui et parce que ses fils ont combattu la résistance dans l’Aude puis en Haute-Savoie au maquis des Glieres. Cela n’excuse rien les atrocités commises contre lui.

  • La loi du Talion pour des résistants de la dernière heure, et peut être aussi de ceux qui avaient souffert.
    Les rancoeurs et les gardiens de prison nommés au pied levé, ont hélas conduit à des actes de barbarie comme condamnation.
    Justice?
    Difficile de discerner les bonnes actions à mener quand l'émotion est trop présente....
    Merci pour ce récit et ce travail.

  • Quelque soit l'"opinion", comment avant et après, des humains peuvent t'ils se comporter ainsi avec d'autres. Ils n'ont rien d'humain, aucun therme ne peut les qualifier... Et malheureusement, notre époque voit encore de ces .... dégénérés agir contre d'autres. A vomir d'appartenir encore maintenant à la même classe d'êtres vivants.

  • Au sujet du martyre du Comte:
    Rechercher, torturer pour faire mourir dans d'atroces souffrances ces Français légalistes- miliciens ou sympathisants nazis-, n'était-ce pas là, pour ces tortionnaires-nouveaux repentis-une sorte de dédouanement de leurs propres oeuvres sales de la guerre ? Par leurs actes passés, ces censeurs méritaient , ô combien , la corde ! Pourtant , ils purent être "blanchis" en quelque sorte devant les tribunaux ( Procès de Bordeaux) : leur peine fut "légère"...Ainsi ,ces gens-là, montrant une détermination de vengeance poussée au paroxysme ont pu ,peut-être, abuser la crédulité de leurs juges... Et surtout, ils purent s'en sortir grâce à l'intervention occulte des appuis extérieurs, si puissants - ces gens de l'ombre qu'ils avaient servi de leur mieux , durant la guerre.-.

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