C'est le 13 février 1881 que naît Joseph Justo au n°9 de la rue des Rames (quartier des Capucins) dans une famille de pauvres ouvriers espagnols. Son père Joachim natif de Monzón dans la province de Huesca avait émigré en France pour y chercher une vie meilleure ; il était employé comme terrassier. D'un premier mariage, était né François en 1870 de l'autre côté des Pyrénées. Ce dernier était donc le demi-frère de Joseph, que les Carcassonnais affubleront amicalement du sobriquet de "Chim Boum Boum".
Chim Boum Boum par Dantoine
A cela, permettez-moi d'avancer plusieurs hypothèses... Le prénom de notre héros a pu être déformé en Jim, qui par l'accent s'est vite transformé en Tchim. C'est ainsi que cela se prononçait, même si à l'écrit cela donne Chim. Autre hypothèse, l'onomatopée qui désigne un tapage musical. On la retrouve quelques fois dans certains récits : "Ils ont fait leur Chim Boum Boum toute la nuit !" Avouez que cela sonne comme un accompagnement de batterie sur une mouvement de valse ou de Java. Accentuez Chim et relâchez Boum Boum, vous voilà dans une mesure à trois temps. Notre Chim Boum Boum alias Joseph Justo, s'était marginalisé avec le temps et vivait de petits boulots. C'était l'Aganta-gos de Carcassonne ! Qu'es aquò ? Le verbe "agantar" en occitan signifie attraper, empoigner. Un "gos" est un chien. C'est donc un attrape-chien, en français. Cette expression propre à notre Midi s'est aujourd'hui perdue, mais elle matérialisait les gens qui se saisissaient des chiens errants en les remettant à la fourrière municipale. Muni d'une sorte de lasso-fouet, il était habile pour mettre la main au collet des quadrupèdes abandonnés. Un agent de police assistait à l'opération tandis qu'un autre tirait la charrette à deux étages où se lamentaient à travers les grilles, les pauvres bêtes égarées. Il arrivait que les enfants ayant déjoué la surveillance des adultes, libèrent les chiens de leur cage. C'était là l'occupation principale de "Chim Boum Boum".
La cabane de Chim Boum Boum
Joseph Justo avait élu domicile dans une cabane de lavandière située au bord du Canal du Midi, face à l'avenue du maréchal Foch, côté gare SNCF. Elles y rangeaient leurs battoirs, après avoir lavé leur linge.
Les exploits
Un cheval attelé à une lourde charrette chargée de fûts de vins, stationnait face à la gare. Le propriétaire de l'animal et de la cargaison parlementait avec le patron d'une péniche. L'accident survint. Le frein rudimentaire de l'attelage céda tandis que le cheval, charrette et chargement plongeaient dans le bassin du canal. La pauvre bête était presque totalement immergée dans les eaux. Chim Boum Boum survint alors. A plusieurs reprises, il plongea de longues minutes, détela le percheron, qui après de longs efforts regagna la berge, sain et sauf. Le propriétaire de l'animal congratula notre héros et royalement lui offrit cinq francs. Notre homme prit la pièce en main, la regarda avec un certain mépris teinté d'amertume et la lança dans les eaux du canal. A cette époque, on pouvait acheter un lapin aux halles avec cette somme. Ceci se fit sous les applaudissements des badauds.
En juillet 1936, tous les sportifs Carcassonnais étaient passionnés par le Tour de France. Un magasin de la place Carnot , le "Paris-Carcassonne" actuellement "Carrefour City", avait réalisé une présentation des cycles Thomas ou Alcyon. Vêtu d'une culotte de cycliste et le torse moulé dans un rutilant maillot jaune, "Chim" figé comme un mannequin, régnait au milieu de l'étalage, la main droite appuyée au guidon de l'une des bicyclettes. Rompant la pause, il buvait de temps en temps à l'un des deux bidons fixés au cadre.
Joseph Justo était connu et respecté de tout Carcassonne. Le maire Albert Tomey et ses adjoints ne manquaient pas de le saluer. Il était d'un dévouement infini et portait assistance aux sapeurs pompiers dans leurs missions. Nageur émérite, pouvant rester sous l'eau des minutes entières et par tous les temps, Chim Boum Boum sauvait des vies. Que ce soit dans le canal ou au Païchérou, au milieu des "Enfers". Les Carcassonnais prétendaient qu'il avait le cœur à droite pour réaliser ces exploits.
Monument aux victimes du Quai Riquet
Le 20 août 1944, une horde de fanatiques teutons passa au Quai Riquet. Elle brûla les maisons et massacra la population du quartier, faisant plus de vingt victimes civiles. Ce jour-là, Chim Boum Boum se tenait dans la cabane des lavandières. Lorsqu'il en sortit, les fridolins du Führer tirèrent en direction de notre héros qui périt sous les balles de l'intolérance. Joseph Justo fut élevé au rang de martyr. La ville de Carcassonne l'enterra au cimetière Saint-Michel et lui offrit une concession à perpétuité. A ce jour, Joseph Justo n'a toujours pas obtenu la mention "Mort pour la France". Sa famille étant inconnue, elle seule pouvait en faire la demande.
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Commentaires
bonjour, je n'avais jamais remarqué qu'il y avait un monument commémoratif sur le pont près du canal, cet article m'a ouvert les yeux ! cordialement
Il y avait à peu près à la même époque , une autre figure très connue et pittoresque : Blanchette , un chanteur de rue ; Ses cheveux d'un noir corbeau ,parfaitement "agominés" , et sa chemise blanche immaculée , par dérision ont du contribuer à son surnom ; Il allait de rue en rue poussant la chansonnette , à la fin de sa rengaine des piécettes lui étaient lancées depuis les fenêtres des appartements et c'est avec beaucoup de révérences et de pas de valse qu' il quittait la scène .jusqu'à la prochaine fois !
Ramon Gogaud (Raymond Gougaud) a écrit en occitan la vie de Chim-Boum-Boum ! Merci de rappeler son souvenir...
Une suggestion pour les Amis de Carcassonne et la Cité.....pourquoi ne pas prendre l’initiative de demander que la mention MORT POUR LA FRANCE - soit attribuée à notre Chim-Boumboum ?
Amicalement à tous,
Pierre-Baptiste