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Les souvenirs du quartier de cavalerie du 17e régiment de dragons (Caserne Laperrine)

Aujourd'hui, les Carcassonnais manifestent leur attachement aux marsouins du 3e Régiment d'Infanterie de Marine, comme ils le firent hier avec le 5e régiment de hussards, le 7e régiment de chasseurs à cheval et les 17e et 19e régiment de dragons. On ne peut tous les énumérer, mais juste mettre l'accent sur la tradition et l'histoire de notre ville de garnison. Jusqu'à la veille de la Grande guerre, Carcassonne avait été une place forte de la cavalerie française. Comme de nos jours, les militaires après leurs manœuvres sur le champ de tir de Romieu et leurs défilés sur les boulevards, participaient à la vie économique de la ville. Ce sont ces souvenirs que nous avons retrouvés dans un article de presse des années 1960, dans lequel l'architecte Raymond Esparseil raconte ce Carcassonne du XIXe siècle. Le fils de Marius Esparseil - inventeur de la mine de Salsigne - a construit l'actuel Théâtre municipal en 1935.

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© Martial Andrieu

Les cavaliers du 17e dragons dans la caserne Laperrine

Nous sommes arrivés au régiment peu après que Courteline (Georges Courtine, auteur dramatique. NDLR) eût terminé le sien, également dans la cavalerie, c’est-à-dire que nous avons connu tout ce qu’il a raconté et dont la tradition n’était pas encore perdue.
Si nous n’avons pas été les témoins de son fameux motif de punition donné par un adjudant à un bleu, qui, du troisième étage du quartier avait pris le soleil dans une glace pour le projeter violemment dans la figure de cet adjudant, nous en avons vu passer d’analogues, comme les deux jours de consigne avec le motif suivant : « A ri au nez de ce brigadier qui lui tournait le dos ».
Nous avons vu comme Courteline les prisonniers et les consignés se lever avant le réveil pour aller casser la glace des abreuvoirs dans lesquels les jeunes cavaliers devaient aller tremper leurs fesses en descendant de cheval tous ensemble et au commandement. Remède souverain, parait-il, pour préserver leurs postérieurs des écorchures si douloureuses lorsqu’elles sont à vif et lorsque l’on trotte à cheval sans étriers.

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© Martial Andrieu

Le 19e dragons à l'abreuvoir

La carrière des dragons était le lieu de rendez-vous de tous les Carcassonnais amateurs de haute voltige. Ils venaient admirer les exercices de voltige auxquels on nous astreignait. On était arrivé à nous faire exécuter des numéros de cirque auprès desquels ceux que l’on voit maintenant, ne sont rien. Pendant que nous voltigions, le 15e de ligne s’exerçait de son côté à des numéros de souplesse, où le bâton, la boxe et le chausson étaient surtout enseignés. Dans notre enfance, cela se passait boulevard Marcou, et nous y assistions avant notre entrée en classe au lycée.

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© Martial Andrieu

La voltige devant le manège du quartier de cavalerie


Cet enseignement, qui ne se pratique plus, était pourtant très utile, non seulement en matière d’assouplissement, mais aussi dans la vie, ainsi que je vais en donner la preuve. Un mouvement du chausson consistait à se recevoir sur une main et un pied, et à lancer l’autre sur la figure de celui qui était derrière vous.
Un de nos anciens de l’infanterie rentrait chez lui à Perpignan, dans la nuit, le long du quai conduisant à l’île Saint-Louis, lorsqu’il s’aperçut qu’un individu le suivait et se rapprochait de lui insensiblement, avec des intentions nullement catholiques, lorsqu’il fut assez rapproché, notre ami lui fit le coup du chausson en lui envoyant à l’envers un magistral coup de pied dans l’estomac. Il poussa un cri en tombant en arrière, pendant que notre ami se sauvait à toutes jambes.

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L'hôtel Dieu rasé en 1977 (parking du Dôme)

Ces classes de régiment se passaient à l’époque précédant Combes, l’irréligieux, avec le général de Galifet, ministre de la guerre, vieille baderne, bien que profondément catholique.
C’est pourquoi il existait à, ce moment une émulation religieuse extraordinaire de tous les grades. Chaque dimanche, le général de Benoist de Cavalerie en activité à Carcassonne, donnait l’exemple en assistant en uniforme avec beaucoup d’officiers et de sous-officiers à la messe dans la chapelle de l’hôpital. Cet hôpital était alors dirigé par des sœurs de charité. Il y avait une ancienne cantatrice, sœur Saint-Vincent de Paul, qui avait une très belle voix. Elle chantait à l’orgue pendant la messe de onze heures. La supérieure était très riche, elle avait proposé à la municipalité d’aménager à ses frais, un jardin devant la chapelle. Il fallait pour cela changer de place les poids publics, ce que la municipalité refusa.

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© Martial Andrieu

Dragon du 19e régiment

L’armée française, après la défaite (Guerre de 1870. NDLR), s’est reconstituée insensiblement jusqu’en 1889. Il y avait en outre les bataillons scolaires ; ils étaient commandés par un gradé de l’armée de 1870 qui était également au lycée et aux Ecoles Normales. Le bataillon du lycée était composé des classes supérieures, également celui de l’Ecole Normale de garçons, avec tambours et clairons. Il avait beaucoup de succès lorsqu’on le faisait manœuvrer en ville. Il était doté du fusil Gras et de la baïonnette. Il participait à toutes les prises d’armes ainsi qu’à la revue du 14 juillet.
Ceux qui préparaient Saint-Cyr dans les classes supérieures allaient monter à cheval dans le manège du quartier de la Cavalerie. Lorsque le jeudi et le dimanche on se rassemblait dans la cour du petit lycée pour aller en promenade, le professeur de gymnastique était là pour nous apprendre le défilé et la formation par quatre.
La marche au pas était exigée tant que nous traversions la ville. Le fourniment des anciens bataillons scolaires serait entreposé dans les greniers de l’Ecole Normale de garçons.

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© Martial Andrieu

A droite, la carrière des Dragons

La carrière des Dragons servait de rendez-vous pour les rassemblements de fêtes. Les masques et les chars du carnaval s’y réunissaient avant d’aller en cavalcade, au milieu de confettis, accompagner le bœuf gras enrubanné jusqu’à Charlemagne qui était le terminus de toutes les fêtes de cet ordre.
Le grand manège, le petit n’existant pas, servait de salle de bal, de fêtes et de banquets après la démolition de l’église des Cordeliers. Les ministres venaient y discuter de la politique après un bon déjeuner. Nous y avons vu Pelletan, Poincaré, Bourgeois, les Sarraut, etc. Carcassonne, patrie des Sarraut et par là même, berceau du parti Radical, était choisi de préférence par les chefs de parti politique pour s’y combattre à coups de discours. Marty, Carcassonnais, ministre des Travaux publics ; Gauthier, Audois, ministre de la Marine, faisaient partie des orateurs que les Carcassonnais ont applaudis.
Mais avec de si nombreux rassemblements politiques, la carrière et le manège étaient aussi utilisés pour de nombreuses fêtes des régiments. Ils se préparaient à l’avance pour les fêtes de Saint-Georges. Concours hippiques, carrousel, exercices de voltige, danseurs de cordes, clowns, etc.

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© Martial Andrieu

La vie de Carcassonne était très belle avec le régiment de cavalerie. Nous avions à faire à un colonel très cocardier. Il était aussi très religieux, imité en cela, par presque tous les officiers.
Il n’admettait pas qu’un sous-officier sortit en ville sans qu’il fût en tenue de fantaisie. C’est pourquoi il nommait de préférence des jeunes gens fortunés qui, tout en ayant de l’éducation, pouvaient se payer des tenues seyantes. On ne s’en privait pas : drap noir d’officier, pantalon rouge en drap satin, crinière de casque en cheveux de femme, chaussures élégantes à éperons mouchetés, etc.
Cet assortiment, on le comprend, servait d’attrait aux jolies personnes fréquentant le régiment.
Du reste, contrairement, à ce qui se passait dans l’infanterie, en dehors du service, le sous-officier de cavalerie, à cause de son éducation, était cordialement fréquenté par son officier, et, bien qu’avec une discipline de fer dont les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent avoir qu’un bien faible idée, les relations d’inférieurs à supérieurs étaient toujours aussi respectueuses dans le service qu’amicales en dehors du service.
Il me souvient qu’au cours de manœuvres de division de 1898, étant porte-fanion du général, j’étais tenue de rester dans son entourage, au milieu de ses officiers d’état-major. Il ne faisait aucune distinction entre ses officiers et moi, lorsqu’il fallait, en plein bataille, aller porter un ordre ou modifier, un mouvement de troupe. Ses officiers de même, m’ont accueilli comme si j’étais l’un d’eux.

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© Martial Andrieu

Intérieur du quartier de cavalerie

C’était l’époque des bals de la préfecture que chaque préfet donnait plusieurs fois. Il s’y déroulait un certain faste rappelant l’éblouissement des fêtes d’autrefois ayant illuminé Carcassonne d’une ère de splendeur. Les grandes familles, les officiers, les chefs de service de toutes les administrations, y étaient invités avec les chefs d’industrie ou les gros propriétaires. Ces bals si distingués étaient l’objet de toutes les conversations et l’on s’y préparait longtemps à l’avance.

Bien que l’on dansât les vieilles danses et surtout la valse, il commençait à se parler des danses nouvelles : « C’est la danse nouvelle, Mademoiselle », commençait-on à chanter. Et en fait se fut le Cake-walk qui fit son apparition en premier lieu.

Je n’étais plus au service militaire et je m’exerçais à le danser avec ma cavalière (qui vit encore), quinze jours à l’avance, pour l’un de ces bals. Malheureusement, le jour du bal, je me trouvais sous-officier de dragon appelé à faire une période militaire. C’était une catastrophe, car en raison de la rareté des danseurs connaissant le Cake-walk, le coup de la surprise était manqué.
Néanmoins, me rappelant l’amicale fréquentation des officiers pour les sous-off d’autrefois, je suis allé demander au colonel de mon régiment où j’accomplissais cette période, l’autorisation d’assister à ce bal. Celui-ci, suivant la tradition qui n’était encore pas répandue. « Avec plaisir maréchal des logis, me répondit-il, je suis enchanté que l’un de mes sous-officiers aille au bal de la préfecture.
C’est alors que pour la première fois a été dansé le Cake-walk à Carcassonne, ce qui m’a valu des officiers assistant au bal, que je connaissais, une série de quolibets qui ont été répétés le lendemain par mes camarades.

Historique du 19e régiment de Dragons

Ce régiment fut formé en 1793 (décret du 27 février) avec le dépôt de volontaires à cheval réunis à Angers sous les ordres du général Leygonnier. Il prit part aux campagnes de la Première République etc de l'Empire et se distingua en maintes occasions et notamment : 

Armée de Moselle, de Rhin et Moselle, d'Allemagne 1794-1797

Armée d'Italie 1798-1799 (Porto-Fermo et la Trebbia)

Le 19e Dragons culbuta un corps de cavalerie napolitaine fort de 1500 chevaux. Pendant cette charge, le général Casabianca s'étant trouvé enveloppé par l'ennemi, fut dégagé par le maréchal des logis Martin qui reçut le brevet de sous-lieutenant en récompense de sa belle conduite.

A la Grande Armée 1805-1807 (Elchingen, Austerlitz, Iéna, Lubeck, Bohrungen et Friedland)

A l'Armée d'Espagne et du Portugal 1808-1813 (La Corogne, Braga, d'Oporto, de Las Rosas, Vitoria)

A la Grande Armée 1813-1814 (Dresde, Leipzig, Dantzig, Saint-Dizier, Brienne, La Rhotière)

Ce régiment fut licencié le 14 septembre 1815. Il ne fut reconstitué qu'en 1874 et formé par le 8e Chevaux-légers lanciers, lequel créé le 18 juin 1811.

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© Martial Andrieu

Le 19e régiment de Dragons au quartier de cavalerie

Ci-dessus, l'intérieur de la caserne Laperrine. Les écuries à l'arrière de la cour seront détruites après la Grande guerre et on élèvera un nouveau bâtiment à deux étages.

Sources

Raymond Esparseil / L'Indépendant / 1960

Notes, photos et synthèse / Martial Andrieu

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