Au moment où par une simple coïncidence, les vandales ou les voleurs s’en prennent à nos croix, nous, défenseurs passionnés du patrimoine, nous exhumons celles qui avaient disparues. Ceux qui nous ont précédés croyaient que la croix de las refachadas avait été définitivement rayée de la carte historique de Carcassonne. Il ne restait plus qu’un nom dans les souvenirs des anciens ; ceux qui pourraient aujourd’hui témoigner ne l’ont jamais vue. Que signifie « las refachadas » ? Là, encore, il nous faudrait interroger les morts et la science ne nous le permet pas encore. Fort heureusement, les communications actuelles rapprochent les gens ayant des passions communes. C’est donc par heureux concours de circonstances dû essentiellement aux articles de ce blog qu’un vieux Carcassonnais m’a signalé la croix de la refachadas dans son jardin. J’avais vaguement entendu ce nom cité dans un livre d’Henri Alaux, sans plus de précisions sur l’origine, que sur l’identité de l’objet. Ne pouvant me déplacer dans l’immédiat sur les lieux, j’ai envoyé sur place Jacques Blanco afin de faire les premières constatations d’usage. Quelques jours après, je me rendis au domicile du détenteur de la croix avec mon émissaire. Celui-ci se munit d’outils de jardinage afin de procéder au dégagement du socle enterré à 1,50 mètres de profondeur. Avec son concours et surtout son habileté, nous avons pu mettre au jour des inscriptions burinées sur le socle : « Croux de la refachados reconstruite en 1926. »
Croux de las refachados
Comment cette croix a t-elle pu se retrouver dans le jardin de ce particulier ? Dans les années 1960, quand les entreprises firent des travaux de terrassement sur les terrains du domaine de la Reille, ce monsieur récupéra cet objet du patrimoine. Alors que les pelles mécaniques le chargeaient pour l’amener à la carrière, le propriétaire obtint la permission de le récupérer sur sa parcelle. Depuis, le lotissement est sorti de terre avec le pavillon de ce monsieur et la croix s’est retrouvée enfouie dans son jardin. Cela fait maintenant une cinquantaine d’années… En fait de croix, il ne reste plus qu’un socle cylindrique portant une inscription. La croix sur le dessus a été cassée par les engins de chantier avant qu’il ne la sauve.
Tout vestige possèdant une histoire, tout mon travail consista à dénouer l’énigme de la Croix de las refachados. D’abord d’un point de vue linguistique en interrogeant l’Institut d’Etudes Occitanes qui ne put que s’en remettre au dictionnaire occitan de Frédéric Mistral. Rechafar signifie se rhabiller ; fachar signifie fâcher. En espagnol, refachado signifie réfracté. Nous ne sommes pas plus avancés, car il est probable que l’histoire de cette croix coïncide avec un événement particulier ou une coutume locale. Très souvent, la tradition orale nous renseigne mais comme nous l’avons écrit en préambule, les morts ne parlent pas. Je me suis donc rendu aux archives départementales où j’ai consulté le travail de l’abbé Sabarthès sur l’ancienne paroisse de Gougens, le cadastre du XVIIIe siècle et la monographie du Dr Jean Blanc sur les croix de l’Aude. Fort de tous ces éléments, nous sommes en mesure de géocaliser la croix au fil des siècles et d’en révéler quelques aspects méconnus.
© ADA 11
La croix de las refatjades mentionnée sur le compoix de 1729
C'est en feuilletant les cadastres de l'ancienne paroisse de Gougens que j'ai trouvé le signalement de cette croix, au carrefour des avenues Roosevelt et Alfred de Musset. Ceci définit l'emplacement d'origine et vient compléter le travail du Dr Jean Blanc sur les croix légendaires de l'Aude.
"En 1780, carrefour de la route de Pennautier, chemin de la Reille (Gougens) et du chemin de Cantegril. Remplacé par une croix en fonte, carrefour du chemin de la Reille et rue Pascal - rue Raspail. 26 mai 1926 : reconstruction en pierre rectangulaire sur socle cylindrique ; mise par M. Castel de la Reille en lisière ouest de la butte de Cantegril, derrière le cimetière Saint-Vincent. Elle a été ensuite déplacée au-dessus du lycée Paul Sabatier. Elle a servi aux rogations jusqu'en 1885. Sur le socle est inscrit son nom."
Nous voyons qu'au fil du temps la ville s'étant développée, les croix ont été déplacées avec les modifications urbaines. D'autres, furent purement et simplement jetées à la décharge. Abordons maintenant l'aspect historique, en citant le chanoine Sabarthès dans son dictionnaire topographique de l'Aude (1912).
Les refachades. Place publique et croix, au quartier de Saint-Gimer. Commune de Carcassonne - Placette de las Refachados (rue des Jacobins), au-dessus de laquelle était anciennement le couvent des Jacobins, XVIIe siècle. Croix de las refachados, ancien oratoire au quartier de Saint-Gimer.
Il se peut fort bien que dans un temps encore plus ancien, elle se soit retrouvée dans le quartier de Saint-Gimer.
Ce socle a été refait en 1926 et c'est celui que nous avons retrouvé chez un particulier dans le quartier de la Reille. Quant à l'origine du nom de la croix, nous ne pourrions qu'émettre des hypothèses. Que chacun fasse la sienne à la lumière des informations que nous transmettons.
Sources
Croix légendaires en pays d'Aude / Dr Jean Blanc / 1977
Dictionnaire topographique / Abbé Sabarthès / 1912
Compoix / Paroisse de Gougens / ADA 11
Recherches, notes et synthèse / Martial Andrieu
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