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  • Que savez-vous de l'Hôtel de Rolland, rue Aimé Ramond ?

    © Alain Pignon

    Jean François de Cavailhés (1720-1784), anobli pour avoir gardé la charge de secrétaire du roi pendant vingt ans, projette d’acquérir des immeubles dans le carron de Vivès afin d’y faire construite un grand hôtel particulier. Les premiers achats débutent en 1746 avec la demeure du sieur Charles Pascal, marchand drapier et ancien Consul de Carcassonne dont le fils fondera en 1734 la Manufacture royale de draps de Montolieu.

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    Plan du carron de Vivès avant 1746

    Ainsi que nous le voyons sur le plan ci-dessus, il s’agit de l’immeuble le plus grand de ce carron. Quatre ans plus tard, Cavailhés fait l’acquisition de  deux maisons - numérotées 36 et 37 - appartenant à la famille Fourès et, petit à petit de l’ensemble des habitations situées sur le plan. Le plan du futur hôtel particulier est confié à Guillaume Rollin (1685-1761), architecte de la province du Languedoc en 1735. On doit à cet homme remarquable, la façade de l’hôtel de ville d’Alès, l’hôpital général d’Uzès, l’ancien évêché d’Alès et bien d’autres réalisations dans le Gard.

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    Ancien évêché d'Alès réalisé par G. Rollin

    Les travaux débutent au mois de février 1751 sous la direction du sieur Lechevalier. Il s’agit de Jean Vincens dit Lechevalier († 12 août 1760 à Carcassonne), originaire de Caudebronde. La livraison de l’hôtel particulier interviendra dix ans plus tard, en janvier 1761. Le coût total, en comptant l’achat des terrains, avoisine les 172 000 livres soit près de 2 millions d’euros. Il faut dire que Jean François de Cavailhés recruta les meilleurs artisans de son temps et ne lésina pas sur les moyens dont il pouvait disposer.

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    L’ensemble des neuf balcons donnant sur la rue de la Pélisserie (Aimé Ramond) et les escaliers à l’intérieur de l’hôtel sont l’œuvre de Michel Bertrand dit Castres, maître serrurier à Carcassonne. Cet excellent dessinateur aurait, dit-on, donné ses premières leçons à Jacques Gamelin.

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    La façade de style Louis XV se pare de mascarons en pierre de Pezens sculptés par Dominique Nelli, d’origine florentine et arrière grand-père de René Nelli.

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    A l’intérieur, toutes les pièces bénéficient de cheminées en marbre d’Italie sculptées par Barata et Louis Parant (1702-1772). On doit au premier, la fontaine de Neptune sur la place Carnot et au second, les armes qui figuraient sur le portail des Jacobins. Elles furent hélas martelées au moment de la Révolution française. Parent avait passé neuf ans de sa vie aux travaux du Palais de l’Escurial à Madrid, puis à ornementer la façade du Capitole à Toulouse.

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    Ancien salon de musique

    Les modelages de plâtre dans les appartements sont à mettre au crédit d’un dénommé Faure et les dorures à Jean-Pierre Sacombe (né le 31 mars 1719 à Carcassonne). Ce dernier avait pour père Pierre qui ornementa le plafond à caissons de la chapelle des Jésuites.

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    Les tapisseries d'Aubusson avec les fêtes de village de Téniers

    La richesse du mobilier dans les appartements n’avait rien à envier à la richesse architecturale de l’hôtel. L’une de ses pièces possédait ainsi dix fauteuils en Aubusson et un canapé, acquis avant 1785. Les murs recouverts de tapisseries d’Aubusson possédaient deux panneaux représentant les fêtes champêtres, peintes par David Téniers. Les tableaux originaux avait été achetés pour Catherine II de Russie ; ils figurent au catalogue du musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. 

    • Une fête au village, millésime 1646. Autrefois dans la collection du marquis d’argentin, et plus tard, dans cette du Duc de Choiseul.
    • Fête de village, millésime 1648. Téniers s’y est représenté lui-même avec sa femme et des personnages de sa famille.

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    • La même pièce sans les tapisseries d'Aubusson

    Ces tapisseries figuraient encore dans l’hôtel en 1903 lorsque Raymond de Rolland en était le propriétaire. Elles ont dû terminer leur séjour à Carcassonne quand Raymond de Rolland eut besoin d'argent ; très probablement chez l’antiquaire Lambrigot, rue de Verdun. Dieu seul sait où elles se trouvent actuellement.

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    Cette belle demeure, improprement nommée « Hôtel de Rolland » par égard pour son dernier propriétaire, devrait porter le nom de celui qui l’a fait bâtir : Jean François de Cavailhés. Lorsqu’il mourut en 1784, son fils Jean François Bertrand de Cavailhés de Lasbordes, le reçut en héritage. Il resta qu’une quarantaine d’années dans la famille, avant d’être acquis par Jacques Rose Voisins le 22 prairial an IX (11 juin 1801) pour 45 000 francs. Ce marquis de Voisins, descendant du fidèle lieutenant de Simon de Montfort, qui n’avait purgé sa dette au moment de sa mort, contraint sa veuve à ce délester de l’hôtel le 19 avril 1813. Son nouveau propriétaire, M. Talamas, n’en profita  qu’une année avant lui aussi de passer à trépas.

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    Armes de la famille Rolland d'Exceville

    "D'azur au chevron d'or, accompagné en chef de trois étoiles du même et en pointe d'une levrette courant, aussi d'or, accolée de gueules."

    A l’audience du 9 mars 1815, c’est  Antoine Joseph Gérard de Rolland, Conseiler général et fils du dernier Juge-Mage de Carcassonne, qui emporta l’immeuble avec l’ensemble du mobilier. Quelques mois plus tard, lors du passage du duc d’Angoulême à Carcassonne, Joseph de Rolland (1776-1855) logea son aide de camp le vicomte de Champigny.

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    Son fils, Charles Raymond Louis de Rolland du Roquan (1829-1904) en hérita. Musicien et mécène, il fit tenir salon musical dans son hôtel particulier tous les lundis. Son épouse, Agathe Caroline de Nugon y chantait les airs du répertoire d’opéra accompagnée au piano par Paul Lacombe. Sans héritier, la fortune de Charles alla à son neveu Raymond en 1904 qui, n’ayant qu’à vivre de ses rentes, se ruina au jeu d’argent.

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    L'hôtel de Rolland vers 1910

    L’hôtel qui venait d’être classé à l’inventaire des monuments historiques le 14 novembre 1923 malgré l’opposition de son propriétaire, fut vendu l’année suivante et Raymond de Rolland se retira à Conques-sur-Orbiel. Sa fille se maria avec un Aurifeuille ; elle donna naissance à Guy qui fut en 1992 le conseiller général  R.P.R et le maire de Couiza. Pendant un demi-siècle, l’hôtel de Rolland devint la propriété du Crédit Agricole puis, en 1977, de la ville de Carcassonne.

    Sources

    Nous avons complété le travail de Gaston Jourdanne publié en 1896 sur l'Hôtel de Rolland, par le fruit de nos recherches  matérialisées en rouge dans le texte.

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  • Armand Honoré Prache (1798-1871), un peintre Carcassonnais oublié

    © Musée des Beaux-arts de Carcassonne (réserves)

    Ecce homo

    Armand Honoré Prache naquit le 3 novembre 1798 à Fanjeaux de Antoine Claire (1767-1843), artiste puis menuisier, et de Marine Marie Marthe Galibert (1775-1830), fille d’un officier de santé. Doué pour le dessin en véritable autodidacte, le jeune Prache entra à l’Ecole des Beaux-arts de Toulouse et obtint pendant deux ans une bourse d’études du Conseil général de l’Aude. Entre 1819 et 1824, plusieurs prix lui seront attribués dont le Grand prix de peinture en 1822. Ses tableaux de composition, les Funérailles d’Hippias et la Lutte d’Apollon et de Pan ornèrent l’ancienne salle des illustres du Capitole de Toulouse. Lors de la destruction de la salle en 1887 et de la construction de l’actuelle galerie qui porte le même nom en 1892, les tableaux furent déposés. Où sont-ils aujourd’hui ? Probablement dans les réserves d’un musée toulousain.

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    Portrait d'une femme

    A l’Ecole des Beaux-arts de Paris, Honoré Prache fut l’élève du baron Anoine-Jean Gros (1771-1835) et se nourrit d’un style bientôt désuet dont il ne pourra réellement s’affranchir. Est-ce la disgrâce de Gros ou le manque d’argent qui obligera Prache à rentrer bientôt au pays ? Sans avoir eu le temps de terminer ses études et de pouvoir goûter au succès qui lui était promis, le jeune peintre retourna dans l’Aude. Vers 1930, il fut engagé comme professeur de dessin aux collèges de Castelnaudary puis de Montolieu, chez les lazaristes. Huit années plus tard, Honoré Prache se fixa à Carcassonne et enseigna le dessin au Petit séminaire (actuel lycée Saint-Stanislas), puis plus tard à l’école Montès.

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    © Eglise Saint-Nicolas-de-la-Grave (82)

    Saint-Roch

    Un grand nombre d’églises paroissiales de l’Aude, du Tarn et de l’Ariège lui passèrent commande de tableaux à partir du milieu du XIXe siècle. La cathédrale Saint-Michel ne fut pas en reste, d’après les ordres reçus de Monseigneur de Gualy. Quatre grands tableaux qui après avoir décoré Saint-Michel furent déplacés dans les dépendances par Viollet-le-duc lors de la restauration de la cathédrale : Les saints évêques de Carcassonne demandant à Jésus-Christ la grâce de leur ville épiscopale ; Prière à Saint-Lupin par Mgr de Saint-Rome Gualy au milieu de son chapitre ; Supplice de Saint-Nazaire et Saint-Celse ; Saint-Pierre et Saint-Paul guérissant les malades à Jérusalem. Ecce homo fut remis à la famille Prache à la mort de Mgr de Gualy.

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    © Collégiale de Castelnaudary / Restauration Céline Stivanin-Bouquet

    Le prophète Jérémie devant Jérusalem en ruine

    En 1854, lors de la construction du lycée impérial de Carcassonne, Honoré Prache eut la naïveté de croire que seuls ses diplômes et ses mérites suffiraient pour qu’il obtienne un poste de professeur de dessin. Sa droiture et le refus de toute compromission eurent raison de sa candidature. Il se prit alors de passion pour la poésie et écrivit des vers en languedocien qui en 1868 lui valurent d’être primés au concours de la Société archéologique de Béziers. Toute cette poésie sera rassemblée dans un recueil publié Chez Pomiès à Carcassonne l’année suivante : « Pouëzios patouëzos ».

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    Lorsque vint l’heure à laquelle Honoré Prache dut quitter ce monde, une pieuse personne amena un prêtre près de son lit. Il répondit à ce dernier par les vers de Voltaire : « Les prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ; Notre crédulité fait toute leur science. » Il ajouta même : « Dieu est trop grand et vous êtes trop petit pour que je vous permette de me parler de lui. » Il s’éteignit le 23 avril 1871 dans sa maison du 5, boulevard de la préfecture (actuel Bd Jean Jaurès) entouré de son épouse et de sa fille Guillermine (1831-1896). Cette dernière avait épousé le compositeur Pierre Germain (1817-1891) dont une rue porte le nom à Carcassonne. Bernard Germain (1856-1845), son grand oncle et ami de Gamelin père, fut engagé par ce dernier pour le seconder dans la classe de dessin de l’Ecole centrale de l’Aude.

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    © Musée des Augustins de Toulouse (réserves)

    Les funérailles de Patrocle

    Au cours de son existence Honoré Prache se sera montré comme un dessinateur hors de pair. Ce n’est donc pas un hasard si l’un de ses élèves fut l’excellent architecte Marius Esparseil. Il conçut également les décors de l’opéra Simon de Montfort, composé par son gendre. En revanche, les couleurs de Prache sont ternes et les sujets qu’il choisit de peintre passèrent de mode. Aussi, n’est-il connu que des spécialistes de l’art sacré de notre département. Il mériterait sans doute une étude plus élargie de ses oeuvres. Il est inhumé dans le caveau familial au cimetière Saint-Vincent.

    Sources

    Cet article a été réalisé grâce à un article biographique paru en 1880 dans le journal "La cité" et rédigé par Alban Germain. Quelques erreurs ont été corrigées et de nouveaux éléments, fruits de nos recherches, l'ont complété.

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  • Mystères et non-dits autour de Joë Bousquet et de la Résistance...

    Les mémoires manuscrites du chanoine Gabriel Sarraute que je suis le seul à posséder actuellement, nous apprennent des choses extrêmement intéressantes. En particulier, les relations qu’il avait pu établir avec le poète Joë Bousquet et ses amis. Certes, me direz-vous, le chanoine a publié un ouvrage à ce sujet : « La contrition de Joë Bousquet ».  Vous avez raison ; en partie cependant, car s’il est exact que Gabriel Sarraute s’est servi de ses notes afin d’écrire son livre, c’est seulement pour démontrer que Bousquet avait accepté de mourir en chrétien. Or, les révélations contenues dans le manuscrit de Sarraute dépassent le cadre religieux. Elles s’attardent au jour le jour sur les aspects de la personnalité du poète, ses relations, ses tableaux… Elles nous renseignent sur les relations parfois tourmentées avec des gens, comme René Nelli, qui n’ont jamais été idylliques. Elles révèlent les hypocrisies qui ont entouré Joë Bousquet après sa mort, pour ne laisser apparaître qu’une vision idéaliste du poète et de ses amis. On a créé une icône… Dans quels buts ?

    Les tableaux

    Il est de notoriété publique que Joë Bousquet possédait depuis son lit une passion démesurée pour la peinture. Bénéficiaire d’une petite pension d’invalidité pour faits de guerre, il achetait régulièrement des tableaux de peintres méconnus et conseillait régulièrement ses amis sur les acquisitions qu’ils devraient faire. Durant l’Occupation, il trouva même une plaque pour ces artistes persécutés réfugiés à Carcassonne et les aida à survivre en les faisant portraiturer la bourgeoisie Carcassonnaise. Ce fut le cas par exemple pour Hans Bellmer qui fit des portraits pour pas grand chose, mais qui aujourd’hui valent plusieurs milliers d’euros. Comme tout collectionneur, Bousquet achetait puis revendait pour étendre sa collection à de plus belles pièces. C’est ainsi qu’il décela avant tout le monde, que la côte de la peinture surréaliste dépasserait bientôt toutes les espérances. Le poète fit quelques bonnes affaires, comme le relate Gabriel Sarraute le 23 août 1945 : « Bousquet a vendu le Kisling (femme aux yeux très désymétrique et aux gros doigts, peints avec application) qu’il avait mis dans le vestibule de sa mère. Il avait acheté 880 francs. Il l’a vendu 58 000. »

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    La forêt blonde / Max Ernst

    On apprend que René Nelli possédait dans son bureau de la rue Antoine Marty, un Goya : « On aperçoit les voûtes de quelque bouge espagnol. Espagnol car il y a une femme vêtue à l’espagnole, aux pantalons rouges, et peut-être aussi un écossais. Ces personnages surgissent de l’ombre. » Il y aussi un André Masson qui était chez Bousquet : « Des buveurs, vue cavalière, en gris. C’est presque glauque. » Un Max Ernst : « De longs troncs d’arbre ou bambous de couleur terne.

    Nos meilleurs faux amis

    Juste après la guerre, René Nelli devint conservateur du Musée des Beaux-arts. Dans les années 1950, il voulut rassembler dans une salle du musée, les tableaux ayant appartenus à Bousquet. Il s’agissait pour Nelli d’obtenir des amis de Bousquet qu’ils acceptent de mettre en dépôt les tableaux que le poète leur avait donnés et ceux qu’ils avaient acquis grâce à lui. Le 12 janvier 1951, le chanoirn Sarraute écrit : « Bousquet qui avait quelque perversité a voulu donner à Jean-Baptiste Fourès, des tableaux que celui-ci méprisait journellement, pour le forcer à les avoir en tête toute sa vie, pour l’Emm… C’est un mélange de rosserie et de tendresse. Il ne cédera pas ses tableaux (Quatre, je crois, dont un Max Ernst et un Fautrier). » Doit-on comprendre que l’ami Fourès qui détestait les tableaux donnés par Bousquet, refusa de les prêter au musée pour lui rendre hommage ?

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    Le poète Jean Lebrau au centre

    Le 20 février, Gabriel Sarraute rencontre le poète Jean Lebrau : « Les anciens amis de Bousquet ne peuvent se sentir. Nelli que Bousquet a tant critiqué lors de ses achats pour le musée qu’il n’osait plus y aller (chez Bousquet) ; et qui maintenant se prétend son seul interprète. » Jean Lebrau qui s’était montré également agacé par un article de Nelli au sujet de Bousquet, venait de répliquer dans une tribune parue sur l’Indépendant. Sarraute dit à ce sujet : « Il me raconte comment il a fait un article sur Bousquet dans l’Indépendant pour protester contre celui de Nelli (le plus athée des poètes et marxiste). Il a depuis rencontré Nelli, furieux, qui lui a dit sur Bousquet tout le mal possible, des choses qu’il ne peut pas me répéter. Il a mis Bousquet sur un fumier : « Je crois en Dieu, a t-il dit, Bousquet n’y croyait pas. C’était un homme satanique. » Mais Nelli ne veut pas répondre, car J-B Fourès promet lui aussi d’intervenir si Nelli faisait un article. »

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    Collection Bousquet au musée de Carcassonne

    Nelli réussit tout de même à installer des tableaux provenant de la collection de Bousquet dans une des salles du musée des Beaux-arts, mais à la fin des années 60 tous les prêteurs sont venus reprendre leurs toiles. Au moment où la côte des surréalistes montait, chacun les vendit aux enchères à Paris. La collection était dispersée à jamais, contrairement au voeu testamentaire de Joë Bousquet…

    La mort de Joë Bousquet

    Le 28 septembre 1950, le poète s’éteignit à Carcassonne : « Bousquet est étendu sur le drap de son lit, avec une chemise blanche qui n’arrive pas aux genoux. Il a la tête penchée sur sa droite, les bras le long du corps, les jambes et les pieds nus moins maigres que je ne croyais, mais les orteils repliés. Il ressemble à un soldat tombé sur un champ de bataille. A côté du lit, sa sœur et plusieurs personnes […] Inondation d’encre dans tous les journaux. Surtout un regrettable article de Cabanne qui semble vouloir attirer l’attention sur Cabanne lui-même. »

    Le 30 septembre, sous la pluie les funérailles. Beaucoup de monde et de fleurs dans l’escalier, dans la chambre : « Le Dr Soum me dit : « Il a pu faire quelques scandale dans sa jeunesse. Il a réparé. » Le cercueil est dans l’escalier. Suivi le cortège avec Devèze. Sur tout le parcours, grande foule. A l’église, non loin de moi J-B Fourès. La messe, dite par M. le curé, est très pieuse, très recueillie. A la fin, on porte le cercueil sous l’orgue. Là, trois discours que je n’ai pas entendus : Signoles, Nelli et le maire Itard-Longueville. Un fourgon emporte le cercueil à Villalier, la sépulture au carré militaire ayant été refusée. »

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    La tombe de Joe Bousquet à Villalier

    Gabriel Sarraute nous apprend qu’on refusa à cet ancien de la Grande guerre, d’être inhumé au carré militaire du cimetière Saint-Michel. C’est la raison pour laquelle, la famille le mit en terre dans le village où elle possédait une demeure ; l’ancienne résidence des évêques de l’Aude.

    Coincidences ou non ?

    Le 18 mars 1946, le chanoine Gabriel Sarraute rédige une lettre à Monsieur Lacroix à Toulouse. Dans ce courrier, une phrase doit retenir particulièrement notre attention : « Nous avons à Carcassonne des nouveaux riches qui achètent des tableaux ridicules sans compter les billets de mille. » Quels sont ces tableaux ridicules ? Il s’agit des peintures d’artistes surréalistes exposées chez Bousquet et que Sarraute déteste au plus haut point. Quels sont ces nouveaux riches ? La question embarrasse car nous sommes un an à peine après la Libération. Elle convient plutôt à nous demander : Comment se sont-ils enrichis puisque leur fortune est récente ? Le marché noir… Non, j’ai sous le coude une idée plus affinée. En consultant, les archives du financement de la Résistance locale… Quand on a instruit l’affaire Charpentier et celle du suicide suspect du Dr Marcel Cannac, on a détruit ces documents. Toutefois, l’inspecteur en charge de l’enquête en avait conservé les pelures et son fils me les a transmises. Heureusement, cet officier de police judiciaire n’était pas Carcassonnais… Quand on étudie le manuscrit de Sarraute dans lequel il évoque les amis de Bousquet et que l’on fait des recoupements avec les archives dont je viens de parler, on s’aperçoit de plusieurs faits troublants. Le premier et non des moindres, fait ressortir les mêmes personnages autour de Bousquet dans tous ces dossiers : Financement de la Résistance locale, Charpentier, Dr Cannac.

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    Jean Bringer

    Le chef de la Résistance Jean Bringer s’était mis en quête de rechercher les coupables qui avaient dérobé de l’argent parachuté destiné aux maquis. Contrairement à l’imagerie populaire, il ne s’agissait pas de billets de banque, mais de bons du trésor de la banque d’Alger. Afin de convertir ces bons en liquidités, il fallait d’abord trouver un directeur de banque complice. Ce dernier se chargeait ensuite de trouver un client fortuné acceptant de prêter l’équivalent en billets de banque à un taux d’usure défini remboursable après la guerre. Au moment où Jean Bringer sollicite ce prêt nous sommes en juin 1944 ; le prêteur ne prend pas beaucoup de risques sur l’issue de la guerre. Ce n’est le chef de la Résistance qui a pris des risques ; ce sont ses intermédiaires qui l’ont trahi. Enfin, selon la démonstration que j’en fait. Comment ?

    Bringer demande au lieutenant James D, ami personnel de Bousquet, de lui trouver un banquier sûr pour l’opération. Celui-ci contacte son ami Maître L, un proche également de Joë Bousquet. L’avoué fait passer les bons du trésor au patron de la B.N.C (Banque Nationale du Commerce) qui se trouvait dans la rue de la Préfecture - ancien siège de la B.N.P. L’argent ainsi débloqué revient entre les mains de l’homme de loi qui remet la somme à James D. Qu’est devenu cet argent ? C’est la question que se pose Jean Bringer, qui, l’ayant peut-être découvert sera dénoncé par des résistants véreux et envoyé à la mort à Baudrigues le 19 août 1944.

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    Capitaine Charpentier alias Noël Blanc

    Pourquoi a t-on assassiné le capitaine Charpentier ? L’envoyé d’Alger pour les parachutages devait être au courant. Joë Bousquet était chargé de lui fournir des faux-papiers via la préfecture de l’Aude… En savait-il trop et allait-il balancer tout le monde ce 4 septembre 1944 ?

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    Le Dr Marcel Cannac

    Pourquoi a t-on suicidé le Dr Cannac ? Ce médecin en savait trop… Dans ces trois affaires, on retrouvent les mêmes protagonistes qui fréquentaient de près la chambre du poète. A savoir, le pharmacien qui a fourni la Strycnine, le médecin qui a fait les piqûres à Cannac, l’avoué, le transporteur, etc. On a oublié une quatrième victime… Monsieur Rouzaud-Roche, patron de la Belle jardinière, empoisonné dans des circonstances obscures. C’était, ni plus ni moins, le trésorier de la Résistance locale.

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    Si seulement ces deux bons d'un million de francs signés de la main de Bringer (Myriel) pouvaient parler... Il nous enlèveraient l'ombre d'un doute.

    Sources

    Notes manuscrites du chanoine Sarraute

    Archives privées / Finacement de la Résistance Carcassonnaise

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