L'histoire ne serait pas si pénible, que l'on pourrait une nouvelle fois en sourire de dépit et déclamer cette prose tant de fois entendue comme une fatalité : "C'est Carcassonne..." Eh ! bien... Peut-on parler de fatalité lorsque des gens sont assez idiots au point de laisser repartir vers d'autres horizons, un objet du patrimoine musical français ayant appartenu au plus grand organiste du XXe siècle ? La ville de Carcassonne aurait possédé le violon de Yehudi Menuhin, le piano de Rubinstein ou le bandonéon d'Astor Piazzola qu'elle n'y aurait trouvé pas plus d'intérêt que les partitions manuscrites de Paul Lacombe annotées par Georges Bizet, qui dorment dans des cartons à dessin dans la bibliothèque municipale.
Pierre Cochereau
(1924-1984)
fut dans la lignée des grands organistes français comme Alexandre Guilmant ou Louis Vierne, le plus talentueux de son temps. Une époque pas si éloignée durant laquelle les concerts d'orgues à Carcassonne et surtout à la collégiale de Montréal d'Aude rassemblaient un nombre important de mélomanes. Le titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris participa durant vingt années consécutives au récitals de Montréal d'Aude et noua de solides liens d'amitié avec Jean Loubet - le maire de ce village de la Malepère - et Paul Detours - l'organiste de la collégiale. Pierre Cochereau prenait ainsi chaque année son logement à l'Hôtel de la Cité de Carcassonne.
L'orgue de Pierre Cochereau
Dans une interview de 1959 disponible sur le site de l'INA, le musicien explique avoir fait réaliser un orgue de grand salon à l'époque où il jouait à l'église St-Roch de Paris - c'est-à-dire avant 1955. L'instrument construit pour son usage personnel et selon ses plans à la particularité de n'être pas de facture classique. Il fallait que cet orgue pût jouer n'importe quel répertoire - aussi bien baroque que romantique - de Bach à César Franck. L'imposante console comportait cinq claviers fabriqués aux États-Unis ; les tuyaux provenaient de différentes collections et dons de ses amis organistes. Au total, l'instrument qui possédait 62 jeux en 1959 devait en compter 75 au final. Pierre Cochereau notait que son orgue représentait l'instrument de salon le plus important en Europe.
Pierre Cochereau à son orgue personnel
Quelques temps après sa mort prématurée à la suite d'une rupture d'anévrisme, l'instrument personnel de Pierre Cochereau allait être vendu et risquait de rejoindre les États-Unis. Paul Detours - son ami de Montréal d'Aude - mit tout en oeuvre afin de tenter de conserver l'instrument en France. Mieux encore... Pourquoi pas à Carcassonne ? La ville avait en 1988 un projet de réhabilitation de l'ancienne chapelle du lycée de Carcassonne (Chapelle des Jésuites) afin de la transformer en auditorium. Sur les conseils de Paul Detours, Carcassonne acquit donc l'instrument du maître qui se trouvait en très bon état chez le facteur d'orgue Boisseau.
La chapelle des jésuites en 1988
Raymond Chésa - maire de Carcassonne - convoque la presse avec la participation exceptionnelle de l'organiste Philippe Lefebvre. Il annonce la restauration de la chapelle, au coeur de laquelle prendra place prochainement l'orgue acquit par la ville. Le projet culturel consistait en la création d'un festival d'orgue avec l'ensemble des autres instruments de la ville se trouvant à St-Michel, St-Vincent et St-Nazaire. Selon Paul Detours, tout ceci se complétait parfaitement... Il était décidé que l'auditorium porterait le nom de Pierre Cochereau. La mariée était trop belle et la dot déplaisait à certains jugeant qu'il y avait déjà assez d'orgues dans Carcassonne, sans avoir la nécessité d'en ajouter. Que celui-ci n'avait pas de valeur particulière, etc...
Enfin, la ville possédait l'orgue de Cochereau et un projet se dessinait pour lui... Tout changea de musique quand arriva l'affaire Orta et ses 20 milliards de francs à rembourser. Il fut dès lors impossible de restaurer la chapelle des Jésuites - cela n'interviendra que dix ans plus tard. Que faire de l'orgue de Cochereau qui se trouvait à Nice dans une caisse et qu'elle avait payé ? Elle décida tout bonnement de s'en séparer en le revendant...
En 1988, l'orgue de Roquevaire dans les Bouches-du-Rhône est à bout de souffle. Une association se créée afin de trouver une solution de restauration pour cet instrument. Sachant que Carcassonne mettait en vente l'orgue de Cochereau, elle s'en porta acquéreur en 1993. La console du célèbre musicien se trouve actuellement dans la tribune des grand orgue de Roquevaire. Elle fait les beaux jours d'un festival d'orgue dont la renommée dépasse les frontières de l'hexagone, tout en pouvant s'enorgueillir de posséder l'instrument de Pierre Cochereau.
Le grand orgue de Roquevaire
Sources
INA
MM. Jean Loubet et Paul Detours
A.G.O.R
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