Un train spécial en provenance de Toulouse arrive en gare de Carcassonne à 11h45 avec à son bord, le Président du Conseil. La salle d'attente a été transformée pour l'occasion en salon de réception dans lequel les autorités attendent Raymond Poincaré à la sortie de son wagon. Parmi elles, citons : MM. Albert Sarraut ; Jean Durand, Pierre Marraud (sénateurs) ; Castel et Milhet (députés), Bougouin (préfet), le général Daugan (16e corps d'armée), Albert Tomey (maire) et son conseil municipal. Après les présentations, le président Poincaré prend place dans une automobile en direction de la salle du manège de cavalerie de la caserne Laperrine. C'est là qu'il doit déjeuner et tenir un meeting. Depuis 10 heures du matin, les abords de la gare sont noirs de monde ; un important service d'ordre de 200 gendarmes épaulé dans sa tâche par des policiers se dispersera sur le parcours du cortège présidentiel.
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Le banquet dressé pour 250 convives attend l'arrivée du cortège. Quand celui-ci entre dans l'ancien manège de cavalerie, l'hymne national retentit ; une banderole porte l'inscription "Vive Poincaré". Des faisceaux de drapeaux tricolores, des buissons et des plantes décorent la salle, désaffectée depuis le départ du 19e dragons de cavalerie. Après le déjeuner, le président de la République prendra la parole lors d'un meeting dans l'autre salle du manège d'artillerie. Elle est mitoyenne et l'on a fait percer une porte pour que Raymond Poincaré n'ait pas besoin de sortir pour s'y rendre.
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Ce sont près de 5000 personnes qui sont rassemblées à l'intérieur ; il y en a presque autant à l'extérieur où des hauts-parleurs diffuseront l'allocution du président. On crie :
Vive la République !
Vive Poincaré !
Vive l'Union nationale !
Le républicain progressiste de centre droit qui s'était allié au gouvernement Combe en 1902 avec le bloc des gauches, a été rappelé à la tête de l'état en 1926 devant l'ampleur de la crise financière. Élu comme Président de la République de 1913 à 1920, Poincaré va cette fois encore exercer la fonction de Président du Conseil jusqu'en 1929. Il forme un gouvernement d'union nationale et mène un politique d'autorité financière. Le franc est dévalué de cinq fois sa valeur initiale.
Le discours de Poincaré
Les intentions les plus noires m'ont été prêtées. J'ai été accusé de venir ici rompre, au profit exclusif d'un parti, l'union que j'ai essayé de maintenir devant les périls de la guerre et de rétablir les graves difficultés de la paix. Ai-je besoin de vous dire, pas plus ici qu'à Bordeaux, je ne viens me mêler aux luttes électorales et qu'au surplus je reste aujourd'hui ce que j'étais hier, ce que j'ai toujours été, ce que je serai jusqu'à mon dernier jour : un républicain, fermement attaché à la liberté de conscience, depuis longtemps imprégné de l'esprit démocratique et laïque, qui continue à croire que la meilleure manière de servir l'humanité est de commencer à aimer sa patrie ?
La devise républicaine
"La liberté, l'égalité, la fraternité, ce sont messieurs des mots qui n'ont pas vieilli, malgré les interprétations erronées ou abusives qu'on en a parfois données. Ce sont les mots qui traduisent les idées essentielles de tout programme démocratique. La liberté telle que nous la concevons dans le Nord-est, telle que la convoitent certainement presque tous les Français, c'est la liberté dans l'ordre et le respect de la loi. L'égalité, ce n'est pas la méconnaissance aveugle des différences naturelles ; ce n'est ni le nivellement des esprits ou des destinées, ni le triomphe immérité de l'envie, c'est l'identité complète des droits politiques pour tous les citoyens, la suppression des privilèges légaux et des barrières artificielles. La fraternité, ce n'est pas le vain étalage de sympathies verbales pour les déshérités de la vie, c'est une activité efficacement employée au développement continu du bien-être collectif et de tous les progrès matériels et moraux qui peuvent améliorer le sort des peuples.
Le redressement financier
Raymond Poincaré évoque l'urgence de la situation financière du pays au moment de la constitution de son gouvernement. Le franc était dans un état d'instabilité depuis la fin de la Grande guerre ; il fallait donner 240 francs pour une livre sterling. Le changement opéré depuis plusieurs mois a permis de faire passer la livre sterling à 125 francs. Le président rappelle qu'en juillet 1926 : "il ne restait dans les caisses du Trésor, ni de quoi payer les dépenses de fin de mois, ni de quoi pourvoir aux remboursements demandés sur les Bons de la Défense nationale, ni de quoi faire face aux échéances extérieures.
L'état a depuis remboursé ses dettes criardes et reconstitué ses encaisses.
"Depuis 20 mois, nous avons obtenu du parlement, sans douzièmes provisoires, le vote de deux budgets solidement équilibrés et que la crise économique, qui est toujours consécutive à une période de dépréciation monétaire, ait été chez nous beaucoup moins grave que dans la plupart des pays d'Europe : que le chômage n'ait jamais eu les mêmes proportions qu'en Angleterre, en Allemagne ou en Russie."
L'indivisibilité de la France
" Il n'y a que les étrangers qui, trompés par une observation superficielle, opposent en France le Nord au Midi ou l'Est à l'Ouest. Notre nation est depuis longtemps la plus fortement unie de toutes celles qui se partagent le monde. Les nuances n'existent que pour mieux faire valoir l'ensemble."
Ce qu'il reste à faire
"Il y a des gens qui s'imaginent que pour assainir définitivement une situation monétaire, il suffit que la loi décide, un beau matin, une opération libératrice. Ce qu'il faut pour rendre à une monnaie sans pleine santé, c'est qu'elle ait plus une valeur artificielle imposée par le cours forcé et qu'elle redevienne convertible en or. Cette guérison ne se décrète pas, elle se prépare, s'opère et se maintient par la réalisation d'un certain nombre de conditions indispensables : confiance persistante des créanciers de l'état, défense inexorable de l'équilibre budgétaire, lutte impitoyable contre les augmentations de dépenses qui risqueraient de la mettre en péril, prudence financière persévérante, commerce extérieur favorable et balance des compte positive. La sévérité est de tout temps le principal mérite professionnel d'un ministre des finances.
Le scandale des nouvelles fortunes
"Comme tous les pays courbaturés par les fatigues de la guerre, et même plus que d'autres parce qu'elle a plus souffert, la France a éprouvé en ces dernières années une sorte de malaise physique et moral qui a momentanément altéré ses forces vives et affaibli ses facultés traditionnelles. Elle n'a pas du tout réagi avec assez d'indignation contre la recherche des rapides, l'insolence des nouveaux riches, l'indulgence pour tous les moyens de succès et de fortune, le relâchement dans le travail et dans l'épargne."
Réformes fiscales
"A mesure que le permettra l'état du budget, il conviendra certainement de remanier les impôts et même de les alléger. Tout ce qu'un ministre des finances a le devoir de demander, c'est qu'on ne coule pas le navire sous prétexte de le renflouer, c'est qu'on ne se figure pas de soulager les contribuables en rouvrant le déficit, c'est qu'on procède avec circonspection et par étapes, sans jamais perdre de vue les nécessités de l'apurement monétaire.
Sans vouloir opposer aucunement le travail au capital, en tâchant au contraire de les rapprocher de plus en plus étroitement dans une coopération féconde, nous nous efforcerons de réviser notre mécanisme fiscal de manière à ménager davantage le travail qui créé, le capital qui se forme. Nous chercherons à mettre davantage de justice dans l'assiette des impôts, à faire en sorte qu'ils soient mieux en rapport avec les facultés contributives des redevables, qu'ils ne pèsent pas trop lourdement, à la campagne comme dans les villes, sur le labeur des familles modestes."
Un tableau du communisme
"Ah ! messieurs, si les quelques Français qui se laissent attirer par le mirage communiste connaissaient mieux la tristesse et les déboires de la vie moscovite, les dissensions intestines, les abus de pouvoir, les jugements sommaires, les déportations et les exécutions, ils changeraient rapidement d'opinion et trouveraient encore dans notre République, qu'ils qualifient dédaigneusement de bourgeoise, un caractère plus équitable, plus généreux et pour tout dire, plus populaire que dans la nouvelle civilisation à rebours qu'on ose leur proposer comme une garantie de bonheur. Mais puisqu'en France et aux colonies, le communisme prêche la guerre civile, il ne suffira pas d'un haussement d'épaule pour arrêter sa propagande."
© Claude Marquié
Albert Tomey - maire de Carcassonne - à la tribune pendant un discours.
Après le meeting, le président Poincaré eut beaucoup de peine à se frayer un chemin dans la foule afin de rejoindre son automobile. Celle-ci devait le conduire à la Cité médiévale où un vin d'honneur devait être servi dans le château comtal. A cette occasion, il signa le livre d'or de la ville de Carcassonne puis repartit dîner à Toulouse, avant son arrivée à Paris.
Extrait du livre d'or
Sources
L'action pyrénéenne / Avril 1928
L'illustration
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Commentaires
Raymond Poincaré était donc contre le communisme et montrait de bons exemples a éviter en bon républicain il aimait sa patrie ....Carcassonne peut donc être fier de sa venue il faut que la France reste forte et soudée au lieu de se disperser .....merci pour ce nouveau document ....