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Tout le monde n'avait pas été Résistant...

Durant la dernière semaine du mois d'août 1944, un esprit de vengeance s'empara du département de l'Aude à l'encontre des miliciens et des collaborateurs des nazis. Ils avaient agi pour le compte du gouvernement de Vichy, dirigé par Pierre Laval sous l'autorité du maréchal Pétain. Le bras séculier de la justice n'allait pas tarder à rattraper ceux qui avaient porté les armes contre les maquis, ou dénoncé résistants et juifs. Aussi étrange que cela puisse paraître, on n'eut pas de mal à les débusquer chez eux. Après la dissolution de la milice de l'Aude, les lampistes s'en étaient retournés dans leurs fermes ou châteaux. Avec naïveté, ils n'avaient sans doute pas mesuré la gravité de leurs fautes. Leurs chefs, quant à eux, avaient obtenu un passeport pour l'Argentine via l'Espagne grâce au concours de Franco. Ils ne furent jamais inquiétés lorsqu'ils revinrent en France après les lois d'amnistie des années 1950. Leurs subordonnés et quelques sous-chefs furent cueillis et incarcérés à la maison d'arrêt de Carcassonne dans l'attente de leur jugement.

Par arrêté du préfet Jean Augé en date du 31 août 1944, la cour martiale fut instituée, s'appuyant sur la loi du 9 août 1849 sur l'état de siège. 

Article 1

Il est intitulé dans le département de l'Aude une cour martiale à laquelle seront déférés les infractions ou agissements ayant eu pour but ou pour effet de nuire au Peuple français, notamment les actions contre les patriotes français, les agents de la Résistance, les dénonciations faites à l'ennemi et les relations avec celui-ci, les attentats sur les immeubles privés et édifices publics ainsi que sur les personnes, les vols de biens appartenant à la Nation, ainsi que les infractions graves à la législation sur le marché noir.

Article 2

La cour martiale est composée d'un président, de quatre assesseurs, d'un commissaire du Gouvernement et d'un greffier. Tous ces membres sont désignés par le commandant des FFI.

Article 3

Les individus arrêtés seront déférés à la cour martiale par décision du commandant des FFI, ordre qui vaudra mandant de dépôt au d'arrêt.

Article 4

La Défense ne pourra être représentée devant la cour martiale que par un défenseur désigné d'office par le Président de cette Cour. L'inculpé aura la faculté d'y renoncer. Les débats auront lieu à huis clos.

Article 5

La cour martiale est compétente pour apprécier toutes les infractions commises dans le département de l'Aude ; elle connaîtra également des faits reprochés à tout individu domicilié dans le même département.

Article 6

L'inculpé renvoyé par décision du commandant des FFI devant la cour martiale sera amené devant cette juridiction pour être jugé sans citation et sans délai.

Article 7

Le jugement sera rendu à la majorité des voix ; il sera exécutoire immédiatement et ne sera susceptible de recours que devant le commissaire régional de la République. Ce recours devra être formé dans l'heure suivant le jugement.

Article 8

Les peines que prononcera la cour martiale seront celles prévues au Code Pénal. Si la cour se déclare incompétente, elle pourra maintenir l'inculpé en détention jusqu'à la saisie d'une nouvelle juridiction. Ses décisions seront affichées à la porte du domicile du condamné et de la mairie du lieu du siège de la cour martiale pendant un mois et publiés par voie de presse.

Article 8

La cour martiale pourra siéger dans toute localité de son choix.

Contrairement à certaines idées transportées par les ennemis de la République, il ne s'agissait pas d'un tribunal sauvage dirigé par des communistes. Pour exemple, le commandant FFI Georges Morguleff qui avait remplacé Jean Bringer, avait été chassé par les bolcheviks en 1917 de Russie. C'était un Russe blanc. Par ailleurs, chaque dossier d'inculpé fit l'objet d'une instruction et de dépositions. Le début des audiences de cette cour martiale eut lieu le 1er septembre 1944 dans la salle du tribunal civil de Carcassonne en présence de : Commandant Bousquet (Président), Capitaine Louis Raynaud, Lieutenant Chaumont, Sergent Rancoule, Soldat Montaim, Capitaine Bonfils et du greffier Frontil. Le capitaine Alaux fut désigné comme défenseur.

Lors de cette première journée, le jugement des six inculpés prononça une relaxe, une peine de Travaux forcés à perpétuité et quatre peines capitales. A chaque fois, les condamnés à mort sollicitèrent un recours en grâce. Toujours rejeté par le commandant des FFI dans l'impossibilité d'obtenir l'avis du Commissaire régional de la République, en raison de l'éloignement et du manque de communications. Il semble que l'urgence de l'exécution de la peine prévalut sur les droits du condamné. Nous citerons le cas, d'un pète et de son fils, l'un condamné aux Travaux forcés et l'autre relaxé. Leur retour à la prison, entre les mains de résistants de la 25e heure, les fit passer à trépas après d'abominables tortures. Quant à ceux qui attendaient le peloton, c'est atrocement mutilés qu'il s'y présentèrent. On leur passa les pieds et les mains dans la presse à copier.

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© ADA 11 / 148J92

Exécution au champ de tir de Romieu

Ces suppliciés furent amenés sur un camion devant le mur du bâtiment de l'ancien manège, à la caserne Laperrine. Là, les attendaient leurs cercueils soigneusement alignés. Après s'être assis sur celui qui leur était destiné, chacun son tour ils allèrent brièvement se confesser auprès d'un prêtre (l'abbé Auguste-Pierre Pont) avant d'être passés par les armes. La foule, enivrée de vengeance, vociférait autour d'eux comme aux heures les plus sanglantes de 1793. Le plus jeune des fusillés n'avait que 21 ans. Il avait payé pour avoir tiré sur des maquisards de son âge lors d'expéditions répressives avec les Allemands. Le spectacle, si l'on peut dire ainsi, attisa tellement les haines que l'on finit par sursoir les exécutions en ville. Dans les mois qui suivirent, les condamnés furent fusillés sur le champ de tir de Romieu.

Ce dernier paragraphe m'a été raconté par mon père. Il avait sept ans ; il a tout vu. Etait-ce un spectacle pour un enfant ? Pourtant, mon grand-père l'avait amené voir l'exécution de ces miliciens. Il faut replacer tout cela dans le contexte d'une époque de souffrances, de trahisons, de haine et de peur. La fin d'une guerre civile ou les français se dénonçaient entre eux. Mon père en fit des cauchemars pendant très longtemps.

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Commentaires

  • Au-delà de ce contentieux, je crains que beaucoup n'apprennent pas jamais de leurs erreurs.

  • Je me permets de citer votre texte :
    "On leur passa les pieds et les mains dans la presse à copier".
    J'ajoute ces quelques précisions : la presse à copier était un appareil en fonte et/ou en acier qui permettait grace à un plateau mobile et une vis de serrage de mettre sous presse des documents dont on voulait faire copie pour les archives de l'entreprise ou de l'administration. Le procédé nécessitait une pression très forte que ces appareils pouvait fournir sans aucune difficulté pour l'utilisateur. Je vous laisse imaginer ce qu'il pouvait arriver aux pieds et aux mains des torturés placés en lieu et place des cahiers dans la presse ; le procédé est presque identique aux pratiques employées au Moyen-Age pour passer les accusés "à la question" avec des appareils différents mais aux résultats similaires sur les mains et les pieds.

  • Concernant cette période de notre histoire, il est obligatoire de lire de Maxime Chavigny "Résistants et collaborateurs: une étude historique en terre d'Aude (1933-2022)" publié par le Centre Lauragais d'Etudes Scientifiques (ISBN: 978-2-9575347-6-0). Ce livre qui vient d'être publié est en vente : à Carcassonne, à la Librairie Breithaup , à Castelnaudary à l'Office du Tourisme.
    Après lecture de cet ouvrage, on comprend bien la période 1940-1945 de notre Département

  • Extrait de"La commode aux tiroirs de couleur" d'Olivia Ruiz
    Au sujet de la guerre d'Espagne :
    "Maisel est étrange ce matin. Il vient vers moi et cela m'inquiète. Un cortège funèbre arrive silencieusement derrière lui. Maisel me trouble tant qu'en le voyant si joyeusement sombre, mon corps s'alarme...Je lui demande ce qui se passe. Il m'apprend que la fille aînée du général qui a assassiné Rafael est dans le cercueil, qu'elle a été tuée par un dissident. Violée et tuée, lundi. Il entre dans les détails et on dirait qu'il y prend du plaisir. Le voir ainsi m'effraie. Atteindre le général en torturant une adolescente ne lui pose aucun problème...J'ai déjà si peu de repères que tout à coup cette violence venant des miens me fait perdre pied. J'ai été tellement naïve... Je pense à ma mère répétant que nous, nous étions les gentils. Je ne connaissais que deux cases, bons, méchants. Et c'est un étranger, un bellätre, qui me jette cette vérité en pleine figure : les miens peuvent sacrifier des innocents sur l'autel de la vengeance"

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