La Bastide Saint-Louis recèle de véritables trésors architecturaux du XVIIIe siècle. Nous le savons, ils sont le fruit de l’opulente réussite des marchands drapiers. Ce qui demeure encore méconnu et non étudié, ce sont les immeubles Art-nouveau non encore inventoriés. Au détour d’une rue, le touriste curieux ou l’autochtone errant peut être arrêté par la beauté de l’une de ces façades richement ornementées. Qui pour le renseigner sur leur histoire ? Si aucun érudit n’a entrepris de recherche, les professionnels du tourisme sont incapables de relayer une seule documentation sur le sujet. C’est bien regrettable… Dans notre quête permanente de ce Carcassonne oublié, nous nous mettons régulièrement dans la peau de ce touriste curieux, frustré par tant de silence.
En arpentant le haut de la rue de la République, une maison attire notre regard. Le numéro 42, buriné sur la façade comme gravé pour l’histoire, rappelle le souvenir jadis florissant de cet immeuble. En 1729, le marchand drapier Jean Faucher possédait là une parcelle sur le Carron de Montlaur ; bien avant que Anne Laforgue (1774-1861), veuve du bourrelier Vincent Isaac Rech (1763-1831), ne vienne habiter à cet endroit. Au n°8 de la rue du marché, leur fils Antoine Vincent (1808-1876) exerçait la profession de vitrier avec son épouse Pauline Bosviel, la fille d’un fabricant de la manufacture de Montolieu. C’est ici que naquirent Marie Pauline en 1836 et Marc Antoine Justin en 1842. Le couple déménagea après le décès d’Anne Laforgue dans la maison qu’elle occupait 42, rue Sainte-Lucie ; cette rue qui porte depuis 1883 le nom de la République.
Antoine Rech y installa son atelier de miroiterie. Aidé dans sa tâche par son fils Justin, il effectuait des travaux d’encadrement, de dorure et de peinture. La Maison Rech, ainsi dénommée, avait construit sa réputation sur le sérieux et la qualité de ses produits. Artisan reconnu, Antoine Rech n’en était pas moins un fervent républicain qui n’hésita pas à louer une partie de ses locaux à la franc-maçonnerie. Lui ou son fils en étaient-ils membres ? Nous le soupçonnons sans toutefois en avoir la certitude. Le 26 octobre 1862, la loge « Les vrais amis réunis » du Grand Orient de France est inaugurée à l’intérieur de la Maison Rech. Quatre ans plus tard, elle sera priée de trouver un autre local avant une mise en sommeil de plusieurs années ; Antoine Rech souhaite passer la main à son fils avec lequel il va v aller vivre, rue Sainte-Lucie. Il commence à liquider son stock puis à vendre le n°8 de la rue du marché à M. Camboulive en 1873.
Dès lors, le 42 devient un lieu de réunions politiques. A la mort de son père, le fils Rech qui occupe les fonctions d’administrateur délégué de la Société démocratique puis de trésorier du Cercle républicain, accentue son œuvre en faveur de la République. Trouve t-on extraordinaire que Théophile Marcou installe les bureaux de son journal La fraternité chez Justin Rech, le 9 mars 1877 ? L’ami d’enfance de Barbès dresse ici des temples à la vertu et des cachots aux vices, il vilipende les lois du gouvernement de l’Ordre moral de Broglie et ses mesures liberticides. Ses papiers sont imprimés chez Pierre Polère, l’imprimeur 33, rue Saint-Vincent (4 septembre), malgré les menaces de censure et les amendes au-dessus de sa tête.
Au moment du partage de la succession d’Antoine Rech en février 1877, son fils qui a pris sa suite, garde les immeubles du 42, rue Sainte-Lucie. Pour cela, il paie une soulte de 14 000 francs à sa soeur Marie Pauline, mariée avec Jean Armand Teisseire. Délaissant petit à petit l’artisanat de son père, Justin réoriente l’affaire familiale vers le commerce des articles de fêtes. Drapeaux tricolores, feux d’artifice, ballons, etc… Ses clients sont désormais les maires républicains des communes auxquels il fait appel pour l’achat de ses produits. Le fils du vitrier ne manque d’ambition politique. Aux élections municipales du mois de mai 1888, il figure sur la liste socialiste de Jourdanne et obtient sur son nom un très bon score au premier tour. Malgré cela, il va faire les frais de circonstances électorales inédites. Les républicains partis divisés en trois listes doivent fusionner pour ne pas laisser la ville aux réactionnaires de droite, arrivés en tête au premier tour.
Façade de l'actuel 44, rue de la République
C’est à cette époque que Justin Rech fait appel à l’architecte Léopold Petit, premier adjoint au maire de Jourdanne. La vieille maison du 42, rue de la République se transforme alors sous les traits du génie de Petit, en une demeure dont la façade n’a pas d’égal dans le quartier. Richement sculptée par Jean Guilhem (1822-1905), cet immeuble sur trois étages et terrasse présente toutes les caractéristiques du style Art-nouveau. Hélas bientôt, le carrosse se métamorphose en citrouille et les laqués en souris. Adieu, veaux, vaches, cochons, couvée… la faillite qui guète Justin Rech finit par le rattraper. Pris à la gorge par les traites, le 5 juin 1894 tous ses biens font l’objet d’une mesure d’expropriation à la demande de Jean Baptiste Marie Armand Larrousse, directeur de la succursale du Crédit Foncier de France. La maison avec sa cour et jardin renfermant trois corps d’habitation est vendue aux enchères publiques le 13 septembre de la même année.
Caveau du sculpteur et tailleur de pierre, Jean Guilhem. Cimetière Saint-Michel
Malgré sa ruine, Justin Rech n’a à pas attendre longtemps avant de trouver un emploi. Le 10 juin, soit cinq jours après sa saisie, la mairie de Carcassonne créé un poste spécialement pour lui. Le voilà Inspecteur de la salubrité publique. Le scandale éclate par la voix de M. Cros, pourtant élu de la majorité municipale. Comment le parent de Léopold Rousset, membre du conseil municipal, peut-il être employé à la ville ? L’affrontement entre Cros et Rech à la terrasse d’un café appelle réparation ; les hommes vont donc se battre en duel. A la chaussée de Maquens, le duel tourne à la mascarade et ne fait pas de vainqueur.
Justin Rech qui entre temps divorcera d’avec son épouse Rose Anne Horéty le 30 décembre 1894, sera promu Receveur principal des receveurs de place. Nous ne savons pas ce qu’il advint de lui jusqu’à sa mort le 20 novembre 1913 à l’hôpital Saint-André de Bordeaux. Il avait une fille , Baptistine Pauline Augusta, mariée en 1898 avec Joseph Mas, originaire de Quillan. En 1906, le couple vivait à Tours avec leur fils Marcel, né en 1900.
Ce n’est certainement pas un hasard si l’ancienne rue Sainte-Lucie prit en 1883 le nom de la République. Il fallait bien que ce choix fût dicté par l’histoire d’un lieu symbolique, celui de la Maison Rech.
Sources
Cet article ayant demandé plusieurs heures de recherches et afin de ne pas alimenter les pilleurs qui ne citent jamais ce blog, il n'est pas fait mention des sources.
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Commentaires
Merci pour ce morceau d'histoire.
Encore merci pour Vos recherches toujours passionnantes
Sur l’histoire de notre ville
C'est passionnant; merci Martial. Actuellement, je suppose que cette maison est divisée en appartements.
Dans les années 1950 , il y avait une dizaine de locataires . Il y avait au centre une grande cour / Jardin , avec des étendoirs . Je suis moins sûr , mais il me semble qu'il y avait aussi un lavoir . Ma tante , mon oncle , et mon cousin , habitaient au fond . Dans l'immeuble à côté au 46 , visible sur une photo , il y avait l'atelier d'ébénisterie de Mr Bouichou , celui qui a construit dans ces lieux , la maquette de la cité , et qui se trouve au château comtal .Mr Bouichou était par ailleurs Président de la société de gym de la St Vincent .
j ai tres bien connu les blancos ils etaient marchand ambulan de chaussures mon pere comtable leur tenaie la comptabilite peut etre etes vous le fils de pierre je serait curieux de vous rencontrer
Merci à nouveau pour ce bel article, riche et enrichissant !
Encore un grand merci pour cet article sur le patrimoine art déco de la ville, nous connaissons le théâtre Alary mais combien d'autres méconnus se cachent à Carcassonne et par vos recherches nous les découvrons avec un grand plaisir.
Merci
c est dans cet immeuble que je suis ne pendant la guerre et ou j ai vecu jusque a l age de 12 ans il y avait beaucoup de locataires l appartement qu ocupe mes parents se situe au deuxieme etage cote jardin appartement sans reel confort pas d eau courante il fallait descendre dans le jardin avec des brocs pour en avoir pas de salle d eau pas de wc je me rapelle tres bien que dans le jardin il y avait des wc a la turque et nous nous essuillons avec du papiers journal les personnes agees notamment mes grands parents avaient des seaux hygienniques et aller le vider dans les wc cela me degoute l hiver nous avions froid
merci, un grand merci pour votre savoir, heureusement que vous êtes là.
qui actuellement serait capable de tenir une chronique comme la vôtre?????IL N'y A PERSONNE !!!!!!!! et faire toutes ces recherche. vous êtes un GRAND MONSIEUR!!!!!!!!
Monsieur Andrieu
Absent depuis plusieurs semaines , et n'ayant rien reçu sur la tablette, je découvre à mon retour et avec grand plaisir vos articles , que je suis entrain " de dévorer" avec gourmandise.
Merçi pour votre magnifique travail et veuillez m'excuser pour mon matériel défectueux.
Bonjour Monsieur ANDRIEU.
Vos articles sont toujours aussi instructifs et passionnant, Merci.
J'ai à 2 reprises laissé un message sur "contact" sans jamais de réponse de votre part et en suis étonné....peut être cette adresse n'est pas valide ou pas lue?
je me permets donc de vous écrire ici suite à ce nouvel article.
Cordiales salutations
François
et dire qu'ils sont en train de tout détruire Le Grand Hôtel Terminus, le cinéma Sauvons le cinéma le Colisée de Carcassonne le joli jardin des plantes qu'il y avait encore il y a 30 ans', et ces avions qui volent très bas au-dessus de nos têtes