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Pourquoi le centre-ville est-il en état de mort clinique ?

On pourrait ergoter pendant des heures et polémiquer sur l'article, qu'hier le journal Libération, consacrait en double page à Carcassonne ; il ne s'agit finalement que d'une instruction à charge pour stigmatiser les errements des Carcassonnais à voter FN. Il y a deux mois, ce même journal s'en prenait à la ville de Limoges, coupable d'avoir élue un maire UMP jugé comme populiste et complaisant envers le parti de Madame Le pen. Faute d'étude sociologique et économique, nos journaux nationaux dont on ne contestait pas autrefois le professionnalisme, semble être tombés dans le sensationnel et dans une espèce de populisme qu'il disent combattre. Il faut vendre ! Tant pis, si pour cela, il faut tendre le micro-trottoir et retranscrire les rumeurs. Le lecteur lambda adore les réflexions du café du commerce autour d'un jaune le samedi matin ; donnons-lui donc de la matière.

Pour autant, me direz-vous, cet article reflète bien le sentiment de ce que chacun ressent à Carcassonne en ce moment. C'est vrai, vous avez raison. Mais, ce n'est qu'un des aspects de la vérité et il est bien trop simpliste pour en faire une généralité. La caricature du Carcassonnais passant sa journée au café dans des supermarchés vidés de leurs clients, on peut également la transposer à Tourcoing ou à Perpignan. Pas besoin pour cela de venir enquêter dans une des villes les plus pauvres de France en la stigmatisant. Cela fait penser à la fable de Jean de la Fontaine, Les animaux malades de la peste. Pas vous ?

Nous qui pouvons avoir la prétention de connaître et de juger Carcassonne, ayons ici une réflexion élevée sur les raisons pour lesquelles notre centre-ville se trouve en état de mort clinique. Qu'entend-on d'abord par mort clinique ? Comme chez n'importe quel patient dont les fonctions vitales sont alimentées par des perfusions, alors que le cerveau est irrémédiablement condamné. Il n'y a hélas plus rien à faire... Les élus successifs se perdent en conjecture, d'autres évoquent des raisons qui les arrangent politiquement. Désignez les responsables et vous les verrez fuir comme une volée de moineaux...

La configuration

Carcassonne possède depuis des siècles, un centre-ville construit sous la forme d'une bastide avec des carrons divisés en rues parallèles et perpendiculaires. La place Carnot, située au coeur de la bastide, occupe a elle seule un espace aéré dans ce dédale de rues. L'essor et la démocratisation progressive de l'automobile après la Seconde guerre mondiale, fit que dans les années 1970 l'accès au centre-ville devint de plus en plus difficile. Les véhicules se garaient sur les trottoirs, quand d'autres en double-file immobilisaient la circulation pendant plusieurs minutes. Ne parlons même pas des camions de livraison, ni des semi-remorques qui traversaient les boulevards. Le contournement obligatoire de Carcassonne par l'autoroute n'arrivera qu'en 1979. Certes, on pouvait se garer dans les rues et sur la place Carnot, mais au prix d'une pollution atmosphérique visible par la noirceur des façades.

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La rue de la gare devient piétonne

La municipalité Gayraud entreprit, non sans l'opposition farouche des commerçants, de piétonniser la rue de la gare. Déjà vers 1973, on n'y circulait plus en voitures que les soirs après 19h et le week-end. Elle devint totalement piétonne en 1978. Personne n'a remis en cause depuis cette réalisation, pas même les commerçants qui en ont grandement profités les années suivantes. La municipalité Chésa prolongea cet aménagement urbain afin de désengorger la bastide, par une série de semi-piétonnisation de rues. L'idée était de faciliter la circulation des piétons afin qu'ils puissent faire leurs achats en sécurité. La création de l'OPAH (Opération Programmée de l'Amélioration de l'Habitat) permit la rénovation des façades qui prirent ainsi des couleurs. L'idée cohérente allait dans le sens de l'amélioration du cadre de vie de la bastide pour amorcer sa reconquête démographique et commerciale. N'oublions pas que Carcassonne au début des années 1980 perdait des habitants depuis plusieurs recensements, et que le centre-ville était moins épargné que la périphérie. En 1986, ce fut la construction du premier parking souterrain aux Jacobins ; puis vint celui de Chénier en 1988 et finalement, celui de Gambetta en 2008.

L'idée que la mort du centre-ville serait due à l'impossibilité de s'y garer doit être battue en brèche. C'est plutôt du côté du civisme et des habitudes qu'il faudrait se pencher, à une époque où il est si facile de commander des objets depuis son ordinateur.

La crise

Carcassonne n'échappe pas à la crise qui secoue la France. Les villes moyennes sont directement frappées par la paupérisation de la population et ce qu'on arrive à camoufler dans les grandes villes, prend une tout autre dimension ailleurs. En l'espace de cinq ans, des villes de 130 000 habitants comme Limoges, on vu leurs commerces fermer et jamais encore repris par une autre enseigne. Les seuls a se conforter sont les mutuelles, les banques ou les assurances. Dans un même temps, l'ensemble de l'industrie française a été délocalisée et bon nombre d'usines ont fermé. 

Les erreurs politiques

A Carcassonne - ville vivant essentiellement des biens et des services dont les plus gros employeurs sont le Conseil général, l'hôpital, l'armée, la mairie et la préfecture - on a trouvé comme solution au chômage la construction de zones commerciales. Ceci sans véritable ambition économique sinon que de pourvoir de petits boulots mal rémunérés à la population, tout en détruisant le petit commerce. Ceci sans imaginer un cadre urbain cohérent et visionnaire, qui fait que toutes les rocades menant à ces zones sont engorgées de véhicules dont la progression est freinée par des ronds-point sinon inutiles, tout du moins mal conçus. 

En l'espace de 20 ans, le Conseil général a déménagé de la rue de la République vers Grazailles. La Chambre d'agriculture a déménagé de la rue Aimé Ramond vers Trèbes. Ce sont plus de mille employés qui consommaient sur place qui ont été déplacés vers la périphérie. Où croyez-vous qu'ils vont déjeuner le midi et faire leurs achats ? Demain, la Chambre de commerce et le commissariat de police devraient suivre le même chemin... La médiathèque Grain d'aile va partir des halles pour aller se loger avenue Roosevelt, soit à deux kilomètres du centre-ville. Il y a une incohérence entre les discours et les actes politiques, ne croyez-vous pas ?

Il n'y aurait pas ce sentiment d'incivisme ou d'insécurité en centre-ville, si les élus n'avaient pas laissé par leur politique désastreuse ce champ libre aux nuisances. Partout où l'on a fermé des services publics, des zones de traffic se sont installées. Faut-il donc continuer à fermer des bureaux de poste, comme ce sera bientôt le cas pour une partie du personnel de la place de Lattre de Tassigny ?

Réinvestir le centre est vital car c'est le forum romain de l'humanisme, des idées, du vivre ensemble. Continuer à tuer le centre-ville c'est conduire à la décadence d'une société vivant sur l'individualisme, le repli et la peur des autres. 

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