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  • L'histoire de l'usine de glaces Pilpa de Carcassonne

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    Tout commence en 1941 et surtout dans les années suivantes avec l'ULC (Union Coopérative Laitière) une coopérative toulousaine rebaptisée ensuite ULAC. Elle s'associera au cours du temps avec d'autres entreprises de ce type dans la région. En 1974, le marché de ces entreprises s'est progressivement étendu à 17 départements dont la Charente et la région Auvergne. Elles produisent le lait Candia, les yaourts Yoplait, le fromage Fraimont... La croissance est telle qu'en 1988 elle se constitue en un groupe puissant appelé 3A (Alliance Agro Alimentaire) dont le président est un Audois, Jacques Lapeyre. 4000 sociétaires et 2500 salariés veillent à la bonne marche de l'entreprise implantée dans tout le sud-ouest. Le lait ne dérangeant que de faibles marges et dont les cours sont assez aléatoires, le groupe d'oriente vers la production de crèmes glacées ; spécialités de la société Boncolac.

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    Ainsi, naît en 1973 à Carcassonne l'usine Pilpa dans la nouvelle zone de la Bourriette, dont le prix du terrain n'est pas très élevé. Pilpa emploie près de 120 personnes et une soixantaine d'intérimaires ; une main-d'oeuvre peu coûteuse...

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    L'usine Carcassonnaise de la société Boncolac génère un chiffre d'affaire de 490 millions de francs en 1998. Elle promet un plan d'investissement sur quatre ans de 130 millions de francs. La prime d'aménagement du territoire lui octroie 1,6 millions de francs. L'usine Pilpa est grandie ; elle tourne 48 heures / semaine et 6 jours / 7. 

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    Le groupe germano-britannique "R and R Ice cream" rachète à Boncolac pour 23 millions d'euros en juin 2011, l'ensemble de son activité de crèmes glacées. L'usine Pilpa de Carcassonne (137 salariés) et les services commerciaux toulousains (17 salariés) font partie de la transaction. Malgré les bonnes intentions affichées par les nouveaux propriétaires sur le devenir des salariés, ils vont s'emparer des marques de distributeur sous licence Oasis, Disney et Fauchon que produit Pilpa à Carcassonne pour la grande distribution, puis licencier le personnel et fermer l'usine. Les employés avaient de quoi se méfier, puisque R and R avait supprimé des emplois lors de la reprise du glacier breton Rolland en 2010. De son côté Boncolac réalisait en 2010 (groupe 3A) un CA de 709 millions d'euros, en hausse de 11%. Il veut recentrer son activité sur le surgelé traiteur.

    Philippe Carré, directeur général de Boncolac, confie au journal Les échos du 16 juin 2011 :

    « R&R a une puissance de feu européenne et voudra agrandir le site pour vendre en Europe, alors que nous écoulons 90 % de notre production en France »

    De son côté, le groupe "R and R" possède 8 usines et réalise 550 millions de Chiffre d'affaire en Europe avec 2000 collaborateurs en France, Allemagne, Pologne et Royaume Uni. Il use d'une communication assez cynique lorsqu'il s'exprime dans le Daily reporter le 6 septembre 2011 :

    Il est clair que le site de Carcassonne est très vieux et où rien n'a été investi depuis 20 ans, mais nous sommes très heureux de le posséder. Nous allons bien le gérer et il y a un très bon effectif à Carcassonne. Je suis impatient de travailler avec tout le monde là-bas et de bâtir une entreprise vraiment forte. (traduit de l'anglais)

    Un mois après son acquisition, le groupe supprime l'ensemble des commerciaux. Quelques temps après, il ferme les services de recherche et de développement.

    Licenciés !

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    © L'indépendant

    Le 5 juillet 2012, "R and R" annonce qu'il ferme l'usine et met au chômage les 123 salariés de Pilpa, dont 45 d'entre-eux ont plus de 50 ans. Comme toujours le cynisme de ces multinationales n'a pas de limites ; elle propose un reclassement des salariés en Pologne (nouvelle usine créée), Italie, Allemagne ou Royaume-Uni. C'est loi la contraint à cela...  On apprend que la production continuera jusqu'en décembre 2012 pour honorer les carnets de commande de fin d'année. Les salariés se voient proposer un congé de reclassement de neuf mois et des indemnités de licenciement de 5000 à 30 000 euros, selon l'ancienneté. Avec la nouvelle loi Macron sur le plafonnement des indemnités de licenciement, combien auraient touché aujourd'hui les Pilpa ?

    À qui appartient R and R ?

    Un rapport du cabinet d’expertise Progexa présente ce fonds d’investissement californien comme une firme de gestion de placements mondiale axée sur les marchés alternatifs. Dans la presse anglo-saxonne spécialisée comme le Financial Times, on peut lire qu’« Oaktree gère des fonds dans les stratégies d’investissement qui comprennent notamment les prêts en difficulté, la dette des entreprises ou encore l’investissement de contrôle ». Tout est dit. Pilpa est pris au piège d’une toile d’araignée de la finance internationale. La mécanique infernale s’emballe et les chiffres font peur. Après étude, on s’aperçoit que R & R est endetté à hauteur de 593  millions d’euros auprès d’Oaktree. Avec un emprunt de 283 millions d’euros de taux à 8,9 % et un emprunt obligataire de 350 millions d’euros au taux de 8,4 %, on comprend mieux l’argument de « mauvais résultats » : R & R se doit en effet de rembourser les frais financiers liés à ses emprunts ; Pilpa fait partie de la myriade des entreprises tombées sous le joug du fonds d’investissement américain dont les bénéfices servent à rembourser ces emprunts. « Résultat, Pilpa est passé du statut d’entreprise viable à celui de Kleenex », s’indigne Rachid Ait Ouakli. Une logique à très court terme où le moindre million est bon à prendre. Oaktree a mis en vente le site de production de glaces de Carcassonne en début d’année, ce qui devrait lui rapporter 2 ou 3 millions supplémentaires. « Quant à 
R & R, ses résultats médiocres, du fait des remboursements qui plombent sa comptabilité, lui permettent peu ou pas de payer des impôts », conclut le délégué syndical. Pendant ce temps, les bénéfices engrangés par Pilpa finissent dans les comptes de sociétés offshore que possède le fonds d’investissement américain. Dans le rapport Progexa, on s’aperçoit que les bénéfices de Pilpa terminent dans des comptes en banques, situés dans des paradis fiscaux aux îles Caïmans et au Luxembourg après avoir transité par R & R Ice Cream à Londres et R & R Ice Cream France. (L'Humanité, 16 mai 2013)

    La bataille syndicale

    Les salariés dénoncent le plan social devant les tribunaux.

    Le 11 décembre celui-ci est annulé par le juge des référés qui estime que le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) présenté par la direction "est manifestement insuffisant dans les mesures de reclassement proposées au regard des moyens du groupe" et que le licenciement collectif de l'ensemble du personnel constitue donc "un trouble manifestement illicite", selon le texte de son ordonnance. 

    Lionel Rolland, directeur général du groupe "R and R" vient à Carcassonne dans une ambiance houleuse proposer des solutions de reclassement et justifier par une communication hasardeuse, la fermeture de l'usine :

    «Le groupe a perdu 15 M€ de chiffre d'affaires l'année dernière, soit -9 %». Au-delà de cet aspect conjoncturel, le patron de Pilpa met ce plan social sur le compte d'une «forte contraction du marché des marques distributeurs depuis 4 ans»

    Une «contraction» qui n'a pourtant pas empêché le groupe R & R Ice Cream d'acheter une énième société l'an dernier, à Terni en Italie. Le numéro est bien rodé : on rachète une entreprise, on rafle ses marques (dans le cas de Pilpa : Oasis, Disney, par exemple), puis on revend quelques mois après en sacrifiant les salariés. Une course à la rentabilité financière dans un marché à concurrence sauvage - R & R Ice Cream veut rivaliser avec l'ogre Unilever, et Nestlé lorgne sur le rachat du groupe R & R - qui fait bien peu de cas des situations humaines. (La dépêche, 5 avril 2013)

    Le 16 mai 2013, les salariés annoncent qu'il dénoncent une troisième fois devant le tribunal, le plan social proposé par le groupe "R and R". Finalement, c’est avec la direction nommée par le nouvel actionnaire PAI Partners qu’un accord sera trouvé avec les salariés. Tous obtiendront des indemnités supra-légales de licenciements représentant entre quatorze et trente-sept mois de salaire brut ainsi qu’un budget de formation de 6 000 euros par salarié. 

    L'agglo à la rescousse

     Grâce à l'énergie des salariés et à la Communauté d'agglomération du Carcassonnais, une SCOP va être créée afin de pérenniser une partie de l'outil de production et des emplois. Les nouveaux entrepreneurs seront aidés dans leur tâche par Henri Garino et René Escourrou, avec le soutien de la municipalité de J-C Pérez et de l'ensemble des Carcassonnais mobilisés pour Pilpa. La nouvelle direction du groupe "R and R" ne s’oppose pas à ce qu’une nouvelle entité produise de la crème glacée à la condition toutefois qu’elle n’opère pas sur le marché des marques de distributeur. La direction s’engage à laisser sur place une ligne de production, à subventionner 815 000 euros de machines et matériels divers, à financer 200 000 euros de formation ainsi qu’une étude de faisabilité confiée à un cabinet d’experts. Un peu plus tard, la communauté d’agglomération de Carcassonne fera l’acquisition des bâtiments et des terrains pour revitaliser économiquement le lieu et donc permettre, entre autres, à la SCOP de démarrer.

    La Fabrique du Sud

    Le 6 janvier 2014, les statuts de la nouvelle entreprise Fabrique du Sud sont déposés. Une trentaine parmi les anciens salariés va mettre ses indemnités de licenciement et ses allocations chômage dans la SCOP à hauteur de 10 000 euros chacun. L'activité démarre en avril 2014 avec un capital de 400 000 euros. À  ce jour, ils sont une vingtaine à faire tourner la seule ligne de production restante depuis Pilpa et commercialisent avec succès des glaces sous la marque "La belle Aude".

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    Ces glaces de qualité artisanale sont vendues dans tous les supermarchés de la région et proposées chez les restaurateurs comme dessert. 

    Une loi Pilpa

    Pour aider les salariés repreneurs, la loi Economie sociale et solidaire (ESS) du 31 juillet 2014 a créé la Société coopérative et participative (SCOP) d’amorçage qui permet aux salariés de renforcer progressivement leur part au capital social. Le décret relatif à sa création vient d'être publié. Il met fin à l’obligation de détenir la majorité du capital social, frein à la reprise d’entreprises sous forme de SCOP.

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    © Claude Boyer

    Le 19 mai 2015, le Président de la République en visite à Carcassonne se rend dans l'usine de la SCOP Fabrique du Sud. La réussite de ces salariés, devenus patrons, fait le tour des rédactions nationales de la presse écrite et télévisuelle.

    Sources

    Claude Marquié / Aux origines de Pilpa / 2012

    Les échos

    L'Humanité

    La dépêche

    Dailyreporter.com

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