Maximilien de Robespierre
Ce fils de marchand-libraire naquit à Carcassonne le 1er septembre 1742 dans une famille de notables issus de la petite bourgeoisie. Son père, François Heirisson, marchand-libraire de son état, prodigua le goût des belles lettres à son fils aîné qui, au sortir de l’université de Toulouse possédait l’intelligence de la langue latine et la connaissance des caractères grecs. C’est du moins ce qu’atteste le certificat délivré par le recteur le 19 février 1759. Fort de ces compétences, Raymond Heirisson envisagea d’exercer l’activité complémentaire au métier de libraire, dont Güttenberg avait été le premier artisan. Après plusieurs années chez des maîtres imprimeurs de renom, comme Valleyre à Paris où il avait été prote, le Conseil d’état du roi arrêta le 12 mai 1766 que le fils du libraire « avait fait son temps d’apprentissage ». Dès lors, les royales recommandations lui permirent d’obtenir des officiers municipaux de Carcassonne, que l’on lui attribuât la charge d’imprimeur royal laissée vacante depuis le décès de Coignet. Raymond Heirisson put ainsi établir son atelier dans la rue des Orfèvres (Courtejaire) et bénéficier du matériel que la veuve de son prédécesseur avait conservé. La ville de Carcassonne retrouvait avec soulagement un imprimeur, indispensable aux services de la 2e Sénéchaussée de la province et de l’évêché. Il demeura l’unique représentant de cette profession et imprima tous les actes officiels jusqu’à la fin du Premier Empire.
De son mariage avec Marie Godar le 24 mai 1778, naîtront trois fils : François (1780-1806), Ambroise (1784-1870) et Pierre Esprit (1786-1817). Ses enfants connurent des fortunes diverses, malgré que leur sort fût éloigné du besoin. Le benjamin - marchand fabricant de draps - et l’aîné ne dépasseront pas la trentaine. Ambroise, le cadet de la fratrie, s’illustra comme capitaine de la Garde nationale sous la deuxième République, se maria à Cornélie Corneille et finit sa vie comme apprêteur à Carcassonne. Ses deux fils Ambroise (1836-1896) et Louis (1831-1900) vivront de leurs rentes et décéderont respectivement à Perpignan et à Marseille.
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Le château de Pomas
Lorsque survint la Révolution française, la famille Heirisson se rangea derrière les idées nouvelles incarnées par l’idéal républicain des anciens serviteurs de l’Ancien régime. Au sein du Comité de Salut public dont il fut membre, puis comme officier municipal en 1791, Raymond Heirisson gravit les échelons du nouveau pouvoir. La chasse des aristocrates, contraints de fuir à l’étranger en abandonnant leurs possessions, lui permit d’acquérir le château de Pomas avec ses terres, aliénés à la Nation en 1793. Les sans-culottes ne s’étaient pas attendris sur le sort de l’ancienne propriétaire ; la marquise de Poulpry, héritière du grand-père Castanier, propriétaire de la manufacture royale de draps que les miséreux avaient largement contribué à enrichir et à anoblir. Paradoxe de l’histoire, les pauvres dépourvus de travail durent pour survivre, s’en remettre aux secours distribués généreusement par les révolutionnaires, sur l’argent pris aux nobles. Aucun d’entre-eux n’eut les moyens d’acquérir un château, mais bénéficia de la solidarité nationale.
Le 2 mai 1794, la Convention nationale demande à la municipalité, "si le conspirateur Fabre d'Eglantine a laissé des biens à Carcassonne."
Quoiqu’on en juge, lorsque Raymond Heirisson fut nommé maire de Carcassonne le 26 avril 1794, Maximilien de Robespierre et son cabinet de montagnards sanguinaires avaient déjà pris un certain nombre de directives en faveur des pauvres. Le plus bel exemple, c’est la loi sur le maximum général qui gela l’inflation sur le prix du pain en permettant au peuple de se nourrir. Au bénéfice politique de l’incorruptible, ajoutons la dénonciation de l’esclavage et la démocratie directe que les sans-culottes jaunes réclament aujourd’hui au bout de leurs piques. La chute de Robespierre le 9 thermidor de l’an II (27 juillet 1794) coïncida avec la fin des mesures sociales en faveur du libéralisme économique.
Comment interpréter l’adresse à la Convention nationale que rédigea Joseph Dupré, procureur syndic, avec l’assentiment de l’agent national à « l’occasion de la mort de Robespierre et de Collot d’Herbois » le 15 prairial de l’An II (3 juin 1794).
« Tandis que nous nous livrions à la joie vive et pure qu’inspirent à tous les amis de la liberté, les victoires multiples des républicains ; un monstre souillant par sa présence le sanctuaire des lois, attendait Robespierre pour lui donner la mort, et le faire assassiner Collot d’Herbois ; à cette affreuse nouvelle le premier sentiment de nos âmes vivement émues, s’est dirigé vers la divinité qui a conservé au peuple français ses deux intrépides défenseurs ; le second a été celui de l’indignation contre le gouvernement, où la conspiration nouvelle dont l’assassinat a été le bras.
Eh quoi, Hébert et Danton conspirent-ils encore du fond de leur tombeau, les héritiers de leur scélératesse ne savent-ils pas que tous les cœurs des français font votre égide, ignorent-ils que c’est frapper le peuple entier, que de frapper un de ses représentants, les lâches ! Ils ont fui dans les champs de l’honneur, ils se rallient autour du crime pendant le jour, et leur audace ne commence qu’avec les ténèbres de la nuit ; vous avez mis toutes les vertus à l’ordre du jour, ils ont mis l’assassinat à l’ordre de leur perfidie.
Eh bien ! nous leur répondrons par l’héroïsme de la liberté et le flegme du courage, nous irons au-devant de leurs coups comme l’héroïque Joffroy, mais que désormais nous ne soyons plus livrés à des cruelles alarmes : pères de la patrie, nous vous conjurons de prendre ans votre sagesse des moyens pour que les jours des représentants ne soient plus à la merci de quelque scélérat, vos jours ne sont plus à vous, ils appartiennent au peuple, ils sont essentiels à la gloire et à son bonheur. »
Ce texte qui fut adopté par la municipalité et inséré au registre, annonce non seulement deux mois à l’avance à la mort de Robespierre, mais également celle de celui qui le fit arrêter et condamner : Collot d’Herbois, ne mourra qu’en 1796 en Guyane.
Durant toute la période où Robespierre resta au pouvoir, la municipalité Heirisson appliqua avec zèle les directives de la Convention nationale. La mise en place de l’instruction publique « afin de procurer à nos jeunes concitoyens des instituteurs capables de leur inspirer des sentiments purs, une morale saine, et de leur faire connaître les avantages de notre heureuse révolution », demeura au centre des préoccupations municipales. Le 21 juillet 1794, le Comité de Salut public déclara « qu’il faudra nommer un instituteur dans chaque commune du département, pour enseigner la langue française et la déclaration des droits de l’homme aux citoyens des deux sexes. » Cette langue française devra anéantir le patois, selon le rapport de la Convention nationale. Héritage de ce jacobinisme et de l’indivisibilité de la République, la France n’a jamais ratifié la Charte européenne des langues régionales qu’elle a signé en 1999.
Les fêtes multiples furent l’occasion d’enraciner la culture révolutionnaire parmi les citoyens, en rompant avec les traditions chrétiennes reléguées au rang de superstitions. Curieusement, Robespierre ne s’affranchira pas de la nécessité de croire : Le peuple français reconnaît l’être suprême et l’immortalité de l’âme. Cette maxime se trouve encore inscrite à l’entrée de certaines édifices, comme sur la cathédrale de Clermont-Ferrand, par exemple. Partout en France, le 8 juin 1794 on organisa la fête de l’être suprême. A Carcassonne, Champagne fut chargé de dresser les plans de la fête pour 1500 livres.
Sur un plan plus local, retenons que la municipalité Heirisson prit la résolution de transformer l’église de l’ancien couvent des Jacobins en salle de spectacle le 3 décembre 1794. Ce théâtre municipal ne sera rasé qu’en 1933 et la scène du théâtre actuel a été bâtie sur le chœur de l’église des Jacobins, rue Courtejaire. La numérotation sur les maisons de la ville et les divisions en carrés des quartiers sont issus d’une décision municipale prise le 16 mai 1794. Sans compter, les mesures de salubrité des hôpitaux, le rétablissement du captage de l’eau depuis les bassins de l’Origine, les secours aux miséreux privés d’emplois dans les manufactures, etc.
Signature de Raymond Heirisson
Le mandat de Raymond Heirisson s’acheva le 28 juillet 1795. L’imprimeur retourna dans son atelier et mourut chez lui, 29 rue des Orfèvres (rue Courtejaire), le 10 septembre 1823 à l’âge de 81 ans. Il laisse une œuvre immense dont chacun peut maintenant se faire une idée plus précise, à la lumière de cet article inédit.
Sources
Cartulaire de Mahul / Vol. VI
ADA 11 / Etat-Civil
Délibérations du conseil municipal
Histoire de la Révolution française
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