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  • Les cafés de Carcassonne au temps des Années folles (suite)

    Hier, nous avons vu une première partie de ces anciens cafés des Années folles. Nous poursuivons aujourd'hui en tenant de les compléter en sachant que leur nombre ne nous permettra pas d'évoquer le souvenir de tous.

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    Le café de la terrasse vers 1920

    Ancien café Maymou puis Grilhot, le café de la terrasse était aux mains d'André Semba en 1921. De nombreux cercles y avaient élu domicile au premier étage de l'établissement : Cercle des fonctionnaires, des sports-club et du Vélo-Club Carcassonnais. Les cavaliers du 19e régiment de dragons s'installaient sur la vaste terrasse, pendant que la société musicale de la ville y donnait quelques aubades. Aujourd'hui, l'établissement est partagé en deux parties. La première est occupée par le café Formule 1 et l'autre, par la Brasserie 4 temps de Franck Putelat.

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    La Rotonde, boulevard Omer Sarraut

    Le café de la Rotonde avait dans les années 20 pour propriétaire L. Puel. Au tout début du XXe siècle, il s'appelait Café Castéras. Idéalement placé à l'angle de la rue de la gare, le Grand café Continental lui faisait face. C'était le rendez-vous des courtiers en vins. Aujourd'hui encore, la Rotonde avec ses garçons en gilet noir et nœud papillon maintient la tradition d'un service de qualité.

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    Le café des Colonies, Bd Jean Jaurès

    Déjà en 1897, le Café des colonies figurait sur les annuaires de l'époque comme un établissement de premier ordre entièrement restauré en neuf. François Lassere, le propriétaire, avait entièrement transformé cet affenage pour les chevaux en café. A la belle saison, il proposait des glaces et des sorbets et la vente de la bière Müller dont il était le dépositaire exclusif. Le seul établissement ouvert la nuit jusqu'au passage des rapides. En 1921, Antoine Mialhe en était le propriétaire. C'est aujourd'hui, la Brasserie du Palais.

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    Le café du musée, Bd Camille Pelletan

    Ce café comme son nom l'indique se trouvait à côté du Musée des beaux-arts. A l'époque du cinéma muet, l'établissement était connu pour ses projections d'après-souper. On étendait un drap blanc et le public regardait le film depuis la terrasse. Ceux qui ne voulaient pas payer se tenaient de l'autre côté et avec un miroir lisaient les sous-titres. Il connut de nombreux propriétaires dont MM. Mialhe, Emile Solé et François Galinier en 1928. Le charme ne pouvant durer à Carcassonne, il a été rasé en 1952. L'année suivante, la trésorerie générale à l'architecture stalinienne prit sa place.

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    Le café du Nord

    Situé à l'angle de la rue de la Digue, le café du Nord s'opposait au café du Midi. Au début du XXe siècle, son propriétaire est Léon Bourniquel qui participa en 1907, à la création du syndicat des limonadiers. En 1921, M. Ancely prit sa suite. La famille Mouton resta longtemps aux commandes, au moins jusque dans les années 1980. C'est aujourd'hui la brasserie du Dôme.

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    Le café de la Comédie

     Cet établissement faisait également restaurant et proposait des chambres. En 1970, Gérard Baux qui avait fait ses premières armes au café Bristol chez Sartore, acheta le café de la Comédie à Mme Panisse. Ce fut toujours le rendez-vous des artistes en tournée à Carcassonne : Moustaki, Becaud, Brel, etc.

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    La machine à café expresso de 1911 inventée par les frères Grouard à Paris. Elle fonctionna jusqu'en 1970 dans le café de la Comédie et s'y trouve toujours.

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    Le café des deux gares, bd Joffre

    Situé à l'angle des avenues Foch et Joffre, cet établissement portait ce nom en raison de la proximité des gares des chemins de fer et des tramways de l'Aude. Entre les deux guerres, il fut tenu par M. Almayrac et était le siège de l'ASC. Il prit ensuite le nom de Café Bristol et connut notamment la famille Sartore aux commandes. Dans les années 1950, une rotonde fut construire au-dessus de la terrasse.

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    La construction de la rotonde au premier étage

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    Le café Français, place Davilla

    Situé dans l'immeuble Tomey, il était la propriété de M. Flanzy au début du XXe siècle. Dans les années 1920, ce fut le café Cathary. L'établissement disparut au cours des années 1980.

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    Le café des Familles

    A l'angle des rues Tourtel et Antoine Marty, on voit encore sur la façade un vestige de la Belle époque : Café Raynaud. Là, se tenait le café des Familles tenu par M. Courtieu en 1921. Quand à la fin des années 1980 il ferma ses portes, une agence bancaires prit sa place. Aujourd'hui, c'est un restaurant asiatique.

    Nous ne pouvions évoquer la mémoire de tous les cafés des années 1920. Vous trouverez ci-dessous une liste de ceux figurant dans l'annuaire de l'époque. Si vous avez des photographies de ces établissements dans vos tiroirs, n'hésitez pas à me contacter : andrieu-martial@wanadoo.fr

    Café du commerce (Arquès), bd Omer Sarraut ; Café Minervois (Asset), route minervoise ; Azéma, rte de Narbonne ; Balmigère, 2 rte minervoise ; Buffet de la gare (Benoît) ; Béziat, rue Trivalle ; Bover, rue du marché ; Café Denis, rte de Montréal ; Café d'été, 33 rte de Limoux ; Café de l'Industrie, rue de la rivière ; Café de Paris (Théron), rte de Toulouse ; Cavilhé, rue Dugommier ; Cazanave, rue Barbacane ; Coste, avenue Arthur Mullot ; Fabre, Bd de Varsovie ; Ferrand, rue Alba ; Gasc, square Gambetta ; Café Voltaire (Gentil), Bd Barbès ; Café parisien (Gougaud), 47 rue Aimé Ramond ; Lasserre, 41 rte de Toulouse ; Loustau, café du pont d'Artigues ; Marty, rte de Montréal ; Pagès, Café de l'abattoir ; Café du Luxembourg (Plauzolles), place de Gaulle ; Puel, rue Barbacane ; Rigaud, rue Alba ; Rumeau, rue des Arts ; Rouzaud, place Davilla ; Café Montagne, square Gambetta ; Vidal, place de Gaulle ; Café de l'opéra, 3 rue Courtejaire.

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  • Les cafés de Carcassonne au temps des Années folles, entre frou-frous et bas résilles

    Carcassonne dans les années 1920 battait tous les records ! Avec 34 000 habitants, la ville possédait proportionnellement le record absolu des cafés et des maisons closes. Le quartier du Canal situé sur l'avenue Foch faisant face à la gare de chemins de fer était le lieu de débauche. Là, se concentraient tripots, maisons accueillantes et cercles de jeux. Dans tout Carcassonne se concentraient  une cinquantaine de cafés. Les maisons closes où les femmes à bas noirs, sanglées dans des corsets de torture et portant chignons et peignes d'écaille, étaient au nombre de quinze. Un paysage à la Toulouse-Lautrec avec ces filles portant frou-frous et porte-jaretelles.

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    La café Terminus vers 1920

    C'était au temps où les bistrots s'éclairaient de quinquets et de fumeuses lanternes à gaz. L'électricité distribuée par des ampoules à filament de cuivre fit ensuite son apparition. A cette époque, des clients attablés tapaient le carton autour d'un "Maza" servi dans des verres épais. Tous les jours, les jetons de bois aux couleurs multicolores remportaient les mises. Les perdants payaient leur tournée à dix sous le verre ; les revanchards s'acquittaient d'un café "asagat a l'aigro ardent" à vingt sous. 

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    Le café du Helder en 1913

    En tête de ces bistrots, citons le café du Helder (actuellement, café des platanes) qui accueillait les noctambules fréquentant le théâtre de l'Eden (aujourd'hui, Maison des syndicats), dirigé par M. Chatenet.  Sur scène, on y croisait Fréhel, Damia, Gorlet lors de leurs tournées. Quelques combats de boxe y furent programmés. A l'entracte, le public se ruait au comptoir du Helder pour y déguster la limonade, des citronnades ou encore, les cafés distillés par les premières machines à serpentins de cuivres, de pipettes à spirales et de jets de vapeur. On y dégustait également les cornets de frites à 20 sous ; elles étaient préparées dans l'arrière-cuisine aux relents de d'huile. A la belle saison, les clients se jetaient se les sorbets réalisés grâce à une machine munie d'une manivelle au creux de laquelle l'on mélangeait lait, sucre, colorants et gros sel. Le papé à moustache M. Gleizes (voir ci-dessus), s'activait à la manivelle pour satisfaire la clientèle agrémentant la glace de poudre de cacahuètes ou de lames de chocolat.

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    L'Eden, boulevard du commandant Roumens

    Après le spectacle, les artistes finissaient leur soirée au Helder et ces messieurs à lorgnons, tentaient une approche auprès des jeunes filles de la revue. Le régisseur du spectacle veillait au grain... Quant tout se monde quittait le café, il ne restait plus que l'illusion de la beauté et les parfums de patchouli. 

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    Le Café des Négociants

    Fondé en 1905, le café des Négociants de René Lapasset était encore il y a peu de temps, l'établissement le plus ancien de la ville. Tout à côté, des écuries offraient le refuge aux chevaux et aux cochers. Pendant que les bêtes buvaient dans la "Pialo" (abreuvoir, en occitan) où l'eau claire coulait en abondance, les conducteurs d'attelage se désaltéraient au café.

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    René Lapasset

    Ces charretiers convoyeurs de longues charrettes tirées par deux, trois ou quatre robustes percherons, effectuaient pour leurs livraisons de vin audois, des étapes de 50 kilomètres dans la journée. Tous les rouliers portaient "la blodo" (blason, en occitan) de lustrine noire pour les patrons et bleue pour les ouvriers convoyeurs. Tous avaient sur l'épaule le fouet à longues mèche de chanvre, destiné à encourager l'ardeur des chevaux. Au long des étapes, les charretiers se reposaient sur le "porto feignant" qui était établi entre deux liteaux reliés par une toile de sac, à l'avant de l'équipage. Il arrivait que le conducteur s'endorme, mais les chevaux connaissaient la route. Chaque bistrot possédait sur sa façade, des anneaux où les rouliers attachaient leurs chevaux. 

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    Ancien café Léon, face à l'église St-Vincent.

     Sur le café Léon, des anneaux étaient scellés pour attacher les bêtes. Cet établissement était minuscule, mais sentait bon le picotin et l'avoine. Les conducteurs d'attelage pensaient à leurs animaux et amenaient avec aux leur ration "dé sibado per las bestios". Le patron du café fournissait un baquet d'eau. Pendant ce temps, les charretiers se sifflaient un verre de blanc avec un cornet de frites ou de pistaches.

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    Le comptoir national, à droite sur cette photo

    Au n° 20 place Carnot se tenait "Le comptoir national" de François Sarta. J'ai un peu bataillé pour retrouver son emplacement car les numéros ont changé depuis. La carte postale ci-dessus m'a été d'un grand secours. Ce petit café occupait la moitié de l'actuel établissement "Le Carnot". François Sarta, son épouse et leur fille Joséphine habitait là. Lui, avec ses belles bacchantes lissées, avait été un athlète de la société de gymnastique "L'Atacienne". En son négoce, il devait les jours de marché et de foire, tous les Audois porteurs de "la saquetto" qui venaient casser la croûte chez lui. 

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    Le café du Midi se trouvait à la place de cet immeuble, Bd Barbès.

    Situé à l'angle de la rue Jules Sauzède et du boulevard Barbès, le café du Midi s'opposait au café du nord à l'angle de la rue de la digue. L'été sa vaste terrasse occupait une cinquantaine de mètres, tandis que le soir, un écran projetait les films muets. Dans les années 60, Jean-Pierre Tutin reprendra cet établissement et l'appelera "Le fiacre". Il fut rasé et céda sa place à un immeuble d'habitations.

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    Le café des Américains

    Toujours sur le boulevard Barbès, Le café des Américains. C'est une agence immobilière, au N° 33. Il connut plusieurs propriétaires dont M. Almayrac. Si l'on n'y a jamais vu un seul Yankee, en revanche il fut le lieu de bagarres mémorables avec les soldats du régiment d'infanterie coloniale. Dans les années 1920-1930, tous les samedi et dimanche, un bal avec piano mécanique ou une formation de quatre musiciens faisait tourner les couples sur des airs de java et de One-steep. L'on y dégustait des cerises à l'eau de vie ou des prunes au marc. 

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    Le Grand Café Glacier, Bd Roumens

    Sur l'emplacement de l'actuelle maison de retraite Montmorency, le café Glacier était tenu par Félix Mialhe. A la belle saison, une vaste terrasse se déroulait sous les ombrages des tilleuls. Autrefois, le boulevard du commandant Roumens s'appelait boulevard des Tilleuls. Ils ont disparu depuis, remplacés par des platanes. Café était le siège de plusieurs sociétés dont celle du Club Taurin Carcassonnais et l'USC. Durant la guerre civile espagnole, il fut le refuge des Républicains ayant fui le franquisme.

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    Félix Mialhe

    (1898-1975)

    Le patron du café Glacier avait combattu durant la Grande guerre. Ceci lui avait valu la Croix de guerre et la médaille militaire. Ancien gymnaste de l'Atacienne, c'était un homme très estimé à Carcassonne.

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    Le café Hugonnet, allée d'Iéna

    Ce café est devenu ensuite l'Oasis, puis la Caisse d'Epargne a occupé les locaux.

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    Le café Boyer, allée d'iéna

    Situé à l'angle de l'allée d'Iéna et de l'avenue Lespinasse, cet établissement possédait autrefois une treille qui dispensait une ombre bienfaisante. Dans les années 1980, il a fait place à un café de nuit.

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    Le Grand café Not, place Carnot

    L'ancien café de Julien Not est occupé désormais par le Crédit agricole. C'était autrefois le siège des marchands de vin. Au premier étage, se retrouvaient les joueurs de billard français. Parmi ses serveurs, on retiendra Henry, qui avait une démarche hésitante mais une sûreté à toute épreuve avec son plateau. A cette époque, les apéritifs étaient servis "bouteille sur plateau". Quand une table de six demandait des boissons alcoolisées différentes, il fallait pouvoir faire tenir les bouteilles en équilibre. Le serveur Marc avait une spécialité : le bras de fer. Le seul qui réussit à la battre fut Sébédio dit "Le sultan", ancien joueur de l'ASC. 

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    La première course des garçons de café en 1935

    On reconnaît Paul Laplace (animateur), Andrieu Alex et Siky qui concourait avec le numéro 14. Siky qui travaillait au café Not possédait une démarche chaloupée. En 1940, il fut prisonnier de guerre ; une corbeille avait été placée près du bar avec la mention "Pour Siky prisonnier". Une fois remplie, elle servait à envoyer des denrées au Stalag dans lequel Siky était retenu en Allemagne.

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    A la terrasse du Café Not, vers 1930

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    Le Grand Café Continental en 1925

    Tenu par Jules Vincent, c'est l'établissement d'où partait les omnibus vers les villages environnants. Quelle classe, ces serveurs ! Georges Coulon fut l'un de ceux-là. Charmeur, élégant et virtuose du plateau, il deviendra ensuite le patron du café de la Terasse au portail des Jacobins. Ce grand Café Continental situé boulevard Omer Sarraut possédait une porte à tambour, comme celle que l'on peut voir encore à l'hôtel Terminus. 

    Dans un prochain article nous évoquerons la mémoire de bien d'autres cafés de cette époque...

    Sources

    Souvenirs de Marcel-Yves Toulzet

    Recherches, notes et synthèse / Martial Andrieu

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  • Ce concierge du théâtre municipal qui chantait la Traviata de Verdi

    C'est en 1936 que M. Pédron et son épouse entrent comme concierge au théâtre municipal de Carcassonne. Depuis un an, ce nouveau lieu scénique inauguré par Paul Valéry a fière allure. Il offre surtout toutes les commodités aux artistes et au public de cette salle pouvant accueillir 800 personnes. A cette époque, le théâtre ne fonctionne pas en régie municipale. Nommé par le conseil municipal, le directeur bénéficie de l'exploitation du lieu de spectacle en concession pour un bail renouvelable. C'est-à-dire qu'il engage une partie de ses fonds personnels dans la programmation. Autant dire qu'il n'a pas le droit de se tromper... Messieurs André Valette de Marseille et Jean Alary de Carcassonne, occuperont ces fonctions durant toute la carrière de M. Pédron comme concierge. Et pendant ces longues années, cet homme modeste ne cessera de consulter, d'étudier et d'entendre l'ensemble du répertoire lyrique. Ceci, jusqu'à devenir une véritable encyclopédie et à coller le plus expérimenté des musicologues.

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    © Droits réservés

    Joseph Pédron en 1972

    Dans les premières années de sa carrière, M. Pédron avait été l'un des membres fondateurs d'une association qui faisait parler d'elle : "Les amis de l'art lyrique". A Carcassonne, comme dans l'ensemble du sud de la France, le public d'opéra et d'opérette était un fin connaisseur. Il pouvait se montrer même avare d'applaudissements dans le meilleur des cas, ou se rendre maître des huées. Il n'y a qu'à se plonger dans les souvenirs du théâtre du Capitole de Toulouse... Ce public qui assistait en masse et régulièrement aux représentations lyriques, se distinguait de celui des "Galas Karsenty". On ne se mélangeait pas entre mélomanes et amateurs du théâtre de boulevard. Les places les moins chères situées aux secondes avaient la préférence des aficionados. C'est là que l'on rencontrait la partition à la main, guettant le moindre couac du chanteur, ceux qui ne transigeaient pas avec la tradition. Du pigeonnier appelé aussi le paradis, l'acoustique était excellente. Tant et si bien que certains n'avaient rien à faire de la mise-en-scène. D'ailleurs le plus souvent, elle se résumait à un placement dans l'espace ; le chanteur après son air venait saluer le public. De nos jours, c'est l'inverse... 

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    © Paul Thomas

    M. Pédron à gauche, avec Fernandel en 1970

    Joseph Pédron avait donc acquis au fil des années, une connaissance redoutable de l'histoire de l'opéra. La vie de Bohème de Puccini jouée pour la première fois, se souvenait-il, le 1er avril 1896, était son ouvrage de prédilection. Eh ! oui. Aujourd'hui, on dit "La bohème" car on le chante dans sa langue originale. Autrefois, les chanteurs interprétaient tous les opéras en français. Cela donnait des traductions un peu bizarre. De plus, "La vie de Bohème" est l'adaptation théâtrale de la pièce d'Henri Murger dont est tiré cet opéra. Joseph Pédron retint l'interprétation parfaite à Carcassonne de Lakmé (Léo Delibes) et de Faust (Gounod). Dans ce dernier figurait l'excellente Suzanne Sarroca dans le rôle de Marguerite : "Impossible de trouver une femme qui chante mieux le rôle" disait-il. Quant à son ténor favori, c'était Tony Poncet : "Maintenant... faut pas le regarder jouer. Il est petit, presque difforme. Mais du point de vue vocal c'est la plus jolie voix que nous ayons. En plus de ça, c'est un véritable phénomène : c'est le seul ténor au monde qui soit capable de donner un contre-ré de poitrine."

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    Tony Poncet

    Lors des représentations d'opéras, Joseph Pédron se tenait dans les coulisses. Après avoir fermé sa caisse, il se faufilait mais ne craignait pas de perdre le fil de l'ouvrage. S'il avait raté le premier acte, il le connaissait par cœur. Parfois, Jean Alary lui demandait conseil : "Pour Faust, c'est moi-même qui ai fait pression auprès d'Alary pour qu'il prenne Michel Lance."

    Pédron

    © Coll. Martial Andrieu

    La veuve joyeuse en 1947 au Théâtre municipal de Carcassonne

    Un jour, un ténor nommé Tarbal et qui jouait dans l'opérette "Train de luxe" voulut tester l'érudition de M. Pédron. Comment s'appelait le ténor qui avait chanté le rôle dans "Le pays du sourire" de Franz Léhar pour la première fois ? Richard Tobber, répondit le concierge. Exact ! rétorqua le ténor. A ce jeu là, l'impétuosité de l'artiste n'allait pas durer... Comment s'appelait le ténor qui chantait "Werther" de Massenet pour la première fois ? M. Pédron un peu agacé, le retourna la question. Le ténor, croyant s'amuser du manque de réponse du concierge, affirma que c'était Hibos. Non ! Monsieur, rétorqua Pédron , très sûr de lui. Werther a été joué pour la première fois, le 16 février 1892 au Théâtre impérial de Vienne. Le ténor s'appelait Van Dyck, la chanteuse Renard et le baryton Heint. Quant à Hibos, il l'a chanté pour la première fois en France le 11 janvier 1893 au Théâtre du Châtelet à Paris. Le ténor tenta de se rebiffer voyant qu'il perdait la face : "Ce n'est pas vrai.." M. Pédron, le coupant : "Chut ! moi, je n'avance rien sans preuve." Et livre en main, M. Pédron a eu raison de son petit ténor, un peu trop sûr de lui-même.

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