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  • Meurtre du capitaine Charpentier : Une affaire de docteurs...

    Nous avons souvent abordé sur ce blog l’étrange affaire de l’assassinat du capitaine Charpentier alias Noël Blanc, chef des parachutages de l’Aude et agent du BCRA à Londres. Le 4 septembre 1944 en fin d’après-midi, Charpentier se trouve chez Louis Nicol dans la rue de l’Hospice (actuelle rue Brassens). À 20H30, le capitaine, brassard FFI au bras sort de chez Nicol pour se rendre à la clinique du Bastion où une importante réunion de résistants l’attend. Charpentier semble soucieux et inquiet, Nicol propose de l’accompagner. Charpentier refuse, il n’est pas homme à fuir ses responsabilités. Il doit le lendemain rendre à son chef régional à Béziers, le capitaine de Riencourt alias Nonce, l’avance de 50 000 francs. Comme tout agent du service des parachutages, cette somme doit être restituée pour clôturer les comptes. Nicol a t-il pris la peine d’informer Charpentier que depuis l’inhumation de Bringer le 31 août, le docteur Delteil tente de faire passer le capitaine pour un traitre ? Nicol était pourtant au courant, mais n’aurait pas pris la chose au sérieux. De toute manière, Charpentier n’a peur de rien. De son propre aveu, il va chez Delteil pour demander des comptes. 

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    Le 6 septembre 1944, à l’aube, des chercheurs de champignons circulent à bicyclette sur la route n°42 entre Palaja et Fajac-en-Val. Il s’agit de MM. Pierre Roquefort âgé de 38 ans et de Étienne Plantié, 25 ans. Avant d’entrer dans le bois, tous deux prennent soin de dissimuler leurs vélos sous un ponceau passant sous la route. Il ne faudrait pas qu’ils se les fassent subtiliser. En écartant les branches qui en obstruent l’entrée, les hommes aperçoivent la silhouette d’un individu couché sur le dos. Et si c'était un bôche ? Ils remontent sur la route en enfourchant leurs bicyclettes. La cueillette se fera un peu plus loin… Lorsque vers midi, ils redescendent en direction de Palaja, l’un d’eux à l’idée de s’arrêter sous le ponceau. Il faut vérifier si cet inconnu a fini par quitter les lieux. Oh ! Surprise. L’individu, toujours étendu, n’a pas bougé d’un centimètre. Ils prennent la décision de s’en approcher. Arrivés à sa hauteur, ils finissent par découvrir un corps presqu’en entièrement calciné au niveau des membres inférieurs. Ils dressent les premières constatations. Le crâne présente deux orifices d’entrée de balles.

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    N’écoutant que leur courage, nos deux hommes décident d’alerter à Palaja M. Joseph Ricard, président du Comité Local de Libération. Il remplit provisoirement les fonctions de maire de la commune. Ce dernier, une fois sur les lieux, s’empresse de prévenir la gendarmerie et le docteur Henri Piétrera, résidant rue Barbacane à Carcassonne. Le voisinage n’a rien vu ; n’a rien entendu.

    A 16h, les constatations sont établies. Le Dr Piétrera rédige son certificat médical sur place. Il s’agit d’un homme blond mesurant 1,85 cm entre 25 et 30 ans et de forte corpulence. Il ne reste que des lambeaux de tissu d’un costume bleu marine à rayures blanches. La mort est due à l’impact d’une balle d’un pistolet de 7 ou 8 mm ayant traversé l’espace inter-omo-vertébrale jusqu’au-dessus de la clavicule gauche. La perforation du cœur a entraîné un décès instantané. La carbonisation a eu lieu post-mortem. On a retrouvé une quinzaine d’allumettes près du cadavre. La mort remonterait à moins de 18 heures. Les témoins qui assistèrent à cette découverte macabre MM. Menjucq et Ricard, affirmèrent que le corps était parfaitement reconnaissable. Ce dernier constata deux orifices dans la nuque.

    En fin d’après-midi, le corps est transporté à la morgue de l’hôpital. Au même moment, le docteur Piétréra s’en va prévenir son confrère le docteur Emile Delteil de la découverte de ce corps. Pour quelles véritables raisons le chirurgien du Bastion devait-il être si rapidement mis au courant ? Notons que l’ensemble de ceux qui ont connu Charpentier, comme Nicol et d’autres résistants ne seront avertis que le 14 septembre. Exactement, une semaine après… Le Dr Piétréra prétexta qu’il avait eu connaissance lors des obsèques de Bringer que Delteil connaissait bien Charpentier. Or, au moment, où le cadavre fut découvert, personne n’avait encore identifié le capitaine. Fait encore plus troublant, Piétréra savait que Delteil l’avait désigné comme traitre.

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    Le Dr Emile Delteil

    Le cadavre entre à la morgue. Il n’est autopsié que le lendemain, 7 septembre 1944 à 16h30, par le médecin légiste Philippe Soum en présence du juge d’instruction Darles. Que s’est-il passé à l’hôpital entre la soirée du 6 septembre et le moment de l’autopsie ? Les conclusions de celle-ci paraissent assez surprenantes puisque les caractéristiques de l’individu autopsié ne correspondent pas avec la description faite à Palaja. Nous voilà en présence d’un homme  corpulent, mesurant 1,72cm. Le corps est entièrement brûlé ; ses mains le sont aussi. A Palaja, l’individu mesurait 1,85 cm. Seuls les membres inférieurs étaient entièrement carbonisés ; ses mains ne l'étaient pas. MM. Roquefort et Plantié ont décrit des mains d’intellectuel. 

    Le corps autopsié n’a rien au thorax, contrairement aux observations du Dr Piétréra. En revanche, le Dr Philippe Soum signale une plaie de 20 cm à l’abdomen où s’échappe l’estomac et une partie du duodénum et de l’intestin grêle. Robert Soum, le fils, qui aidé son père au cours de l’autopsie indique en 1953 : « Cette plaie n’a pu se produire spontanément pendant le séjour du cadavre à la morgue ». Contrairement à son père qui note dans son rapport en 1944 que les gaz, contenus dans l’estomac, ont pu sous l’action de la chaleur faire exploser l’abdomen. Le crâne présente trois orifices d’entrées de projectiles : Deux côte à côte dans la région frontale et un sur la ligne médiane de l’occipital (nuque).

    Après la découverte du cadavre, finalement identifié comme étant celui de Charpentier, l’enquête est confiée à la justice militaire. Celle-ci est dépêchée depuis Montpellier pour enquêter sur les auteurs du meurtre. La thèse de la substitution du corps de Charpentier à la morgue par un autre individu retient l’attention des militaires. L’officier en charge de l’affaire, consulte les registres d’entrée de la morgue pour les journées du 6 et 7 septembre 1944. Aucun cadavre carbonisé, autre que celui de Palaja, n’a été déposé à la morgue. L’enquêteur ne peut pas démontrer l’échange des corps, malgré les différences constatées lors de l’autopsie. 

    Interrogé par les enquêteurs, le Dr Marty, radiologue à l’hôpital, déclare avoir vu entrer à la morgue le cadavre d’un homme découvert à Palaja de haute stature et forte musculature. Cépendant, il ajoute : « qu’à cette époque révolutionnaire l’entrée du dépôt mortuaire restait ouverte en permanence et qu’on y entrait et sortait des cercueils sans qu’un contrôle efficace soir exercé ». Il précise que la morgue, en fait, ne restait pas ouverte la nuit, mais il était loisible à tout résistant de la faire ouvrir sans que le personnel hospitalier puisse s’y opposer…. "À cette époque, conclut-il, le domaine des morts appartenait davantage à la Résistance qu’à nous-mêmes. »

    A défaut d’avoir trouvé parmi les miliciens exécutés ce 6 septembre 44 des raisons valables pour expliquer une substitution de l’un de leurs corps, l’enquêteur militaire à apporté cette hypothèse : « Faut-il penser également à un corps quelconque, non identifié, correspondant à la taille du corps autopsié, faute de mieux, qui aurait été carbonisé pour les besoins de la cause. Faut-il encore trouver un cadavre au moment où il était nécessaire de l’utiliser. »

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    Noël Blanc alias Charpentier

    Voyez-vous, chers lecteurs, c’est cette dernière phrase qui m’a mis la puce à l’oreille. Je me suis alors souvenu que le 6 septembre 1944, un inspecteur de police a été assassiné par les Milices patriotiques communistes de Limoux. J’avais quelque part ce dossier dans mes archives. Oui ! L’inspecteur André Got a été affreusement tué par la bande à René Chiavacci à Saint-Martin-de-Villeréglan. Et alors, me direz-vous ? Il se trouve que le Dr Philippe Soum, médecin légiste de l’hôpital de Carcassonne, a autopsié le cadavre. Dans ce rapport, il se trouve que l’individu présentait à l’abdomen une plaie de 20 centimètres de laquelle sortait tripes et boyaux. Or, le cadavre carbonisé présenté à la morgue comme étant celui de Palaja, avait exactement la même blessure. Ce n’est quand même pas si courant d’avoir deux corps aux plaies identiques le même jour, non ? Nous pourrions donc en conclure que l’on aurait fait passer le cadavre d’André Got, après l’avoir carbonisé, pour celui du capitaine Charpentier. L’entrée différente des projectiles entre les deux hommes facilite ensuite la dissimulation de la vérité vis-à-vis du tireur. 

    Le capitaine Charpentier a reçu trois balles, ainsi que les témoins de Palaja le décrivent : Une en plein coeur, tirée de l’arrière, à perforé l’omoplate gauche. Les deux autres, tirées dans la nuque. Thérèse Paillet, infirmière à la clinique, s’est accusée du meurtre en plaidant la légitime défense. Or, le tir dans la nuque ne peut accréditer cette thèse. De plus, il fallait savoir bien viser et avoir une connaissance de l’anatomie pour viser la région du cœur. Il a été prouvé lors de la reconstitution que l’infirmière ne savait pas manier les armes. Alors, un homme. Un gaucher… comme qui, par exemple ? Un certain chirurgien, mais rien ne le prouve encore.

    Sources

    Les documents qui m'ont permis de mener cette enquête ne sont pas conservés aux Archives départementales de l'Aude. Une partie se trouve dans un fonds de justice militaire. L'autre partie, dont les originaux ont disparu, m'a été donnée par le fils d'un enquêteur qui avait gardé des copies. 

    Photo en une

    Le capitaine Charpentier et son épouse

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