Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Coluche : l'enfoiré qui avait raison

Cela fait aujourd'hui 30 ans que Coluche regarde de là-haut, la France et le monde qui nous entoure. Samedi matin, alors que je me rendais à la librairie Brethaupt pour dédicacer mon dernier ouvrage sur Carcassonne, des roulements de tambours provenant du bas de la rue de Verdun attirèrent mon attention et celle de quelques touristes. J'étais positionné à l'angle de la rue Courtejaire ; au fur et mesure que le bruit se faisait plus présent, je voyais le bout de quelques drapeaux tricolores pointer à l'horizon. Si je n'avais pas fait quelques hautes études en histoire à l'école primaire, j'aurais pu certainement penser comme bien des gens qu'il s'agissait d'une animation carnavalesque. Or, nous étions le 18 juin - jour de l'anniversaire de l'appel du général de Gaulle sur les ondes de Radio Londres. M'étant positionné à l'angle de la rue Courtejaire, je vis passer en grande cohorte et tenue d'apparat quelques musiciens, représentants de l'autorité préfectorale, porte-drapeaux, élus et médaillés. Une cérémonie avec dépôt de gerbe au pied du monument à la Résistance en précédait une autre, au pied de la stèle à Charles de Gaulle érigée en son temps par Raymond Chésa sur le boulevard Barbès.

En réfléchissant de plus près à la question, je me rendis compte que pour atteindre la stèle à Charles de Gaulle située au portail des Jacobins, il était bien plus court d'emprunter les boulevards Camille Pelletan et Roumens. Oui, mais... avec beaucoup moins de chance de s'y faire voir la tête haute et fière, d'une population qui en ce jour de marché se masse d'ordinaire au coeur de la Bastide... 

L'ancien combattant

(Coluche / 1975)

Capture d’écran 2016-06-19 à 18.39.50.png

J'regarde si c'est pas miné
Repos la classe !
J'me présente : Dumoulin !
Mais les copains m'appellent Duboudin parce que chaque fois que j'entrais dans la chambrée,
y'en avait toujours un qui chantait :
"Tiens voilà Dumoulin......"
Elle est très bonne!
Repos les gars !
Ah nom de Dieu ! 


R'marquez, faut pas s'plaindre, on est pas les plus malheureux !
J'avais un copain il s'appelait Cocu.
C'est agréable!
Il osait pas se marier.
Pourtant il en avait trouvé une qui voulait bien.
Peut-être que c'est pour ça qu'il voulait pas !
Alors pour se donner du courage, y s'étaient cuités tous les deux.
Il est arrivé devant le maire avec sa promise bourrée !
Tiens... ça fait rigoler ça d'habitude, promise bourrée.
Ah non! Promise cuitée ! c'est promise cuitée qui fait rigoler !
Vous dérangez pas, j'vais vous la refaire.
Alors il est arrivé devant le maire avec sa promise complètement cuitée... ça fait rien laissez tomber !
Ah nom de Dieu !


Enfin il a eu d'la chance.
Il est mort en 14, au début...comme ça il a pas vu la suite. C'était pas beau à voir.
Il avait été blessé au front....
Non, pas à la tête, aux pieds.
Nom de Dieu !
C'est que ça rigolait pas !
Moi qui vous cause, j'ai été blessé deux fois : une fois à l'abdomen, une fois à l'improviste.
Lui il avait eu le pied comme qui dirait arraché par un obus de passage.
Nom de Dieu!
Alors on s'était dit :
" On va y couper la jambe le plus haut possible pour pas que ça s'infecte au genou."
Ah nom de Dieu!
Comme on avait rien pour l'endormir, on s'est dit :
"On va y crever les yeux pour que le malheureux y voie pas sa misère."
On lui a crevé les yeux et on y a dit :
" On t'racontera."
On a pas eu besoin, il est mort pendant qu'on lui cassait l'os.....avec des cailloux !
Ah ben, dame ! on n'avait rien !
Ah nom de Dieu !


On est pas les plus malheureux. C'est qu'la guerre de 14, c'était pas des vacances.
Heureusement dans un sens, parce qu'il a pas fait beau.
On s'disait toujours :
"Ah ben ! Y f'ra beau demain."
Et ben! La flotte !
Remarquez, faut pas s'plaindre, au Patiskan, y s'disent toujours :
"Ah ben ! On aura une meilleure récolte l'année prochaine."
Et beng, la dèche!
Elle est très bonne
J'l'aime bien !
Nom de Dieu !


Ah, on a souffert de l'odeur, tiens!
Ben, vous savez comment ça s'passe ! Les premiers montent a l'assaut. Y s'font tuer à 3 mètres, et après ça pue pendant toute la guerre!
Parce que tout le monde disait :
" Le front, le front!"
Mais quand on est arrivé, il existait pas le front, il a fallu qu'on le fasse !
On est arrivé là, nom de Dieu !
Les allemands étaient comme qui dirait à 100 mètres de nous
On leur a dit :
-On fait le front ici !
-Ya!
-On creuse ici!
-Ya Aufwidersen !
-Oui c'est ça, aux fines herbes !


Alors, on a creuse nos tranchées. Ils ont fait les leurs.
Pendant ce temps là, on s'tirait pas d'ssus, sans ça on aurait pas pu finir la guerre.
Faut être raisonnable !
Alors, tant qu'on a eu des munitions, ça allait encore, mais après...Nom de Dieu!
Ils ont commencé a nous jeter des bouteilles de bière. J'ai gueulé, j'ai dit :
" Y pourraient avoir des poubelles ! "
Alors nous on leur a jeté nos boîtes de corned-beef, pleines. Il nous en restait plein.
Vous savez? des petites boîtes kaki dehors, caca dedans.
C'était des boîtes qu'on avait pendant la guerre de 1870...
Ben, c'est qu'il en restait assez pour faire la guerre de 40 !
C'est seulement qu'arrivé en Algérie qu'on leur a dit :
" On vous laisse l'Algérie, mais vous nous reprenez le corneed-beef... Alors ils sont partis avec."
Et c'est plus tard seulement qu'ils l'on revendu à Jacques Borel.
Remarquez, faut pas se plaindre !
On est pas obligé d'y aller, hein !
Ah nom de Dieu !


Mais j'regrette pas de l'avoir fait la guerre! D'abord parce que j'suis pas mort, et puis parce que j'ai été décoré.
Ben oui puisque j'suis pas mort!
À la guerre on décore ceux qui r'viennent. Ceux qui sont mort, c'est ceux qu'étaient devant.
Ben dame, on peut pas être partout !
Alors j'ai ma pension, et puis il y a les commémos.
Les commémos, c'est bath, ça ! On y va, on pose un bouquet de fleurs, on joue toujours la même chose, et puis après on a un banquet avec les copains.
On s'en met plein la gueule!
Bien sur, c'est pas nous qui paye, c'est vous !


Et puis y a toujours un ministre. Évidemment puisque c'est pas lui qui paye.
En général c'est Debré. J'sais pas comment il s'demerde çui-là! il est tout le temps là !
Ah, puis c'est un bouc en train, nom de Dieu !
T'entends un bouchon qui saute, c'est Debré !
Y en a un qui s'endort pendant le discourt de Malraux, c'est Debré ! Y en a un qui s'met un entonnoir pour faire rigoler les copains.

Alors! J'invente pas. Tout le monde le sait : c'est Debré !
Tiens, à propos, faut que j'vous raconte une anecdote.
Figure toi qu'un jour, c'était la nuit d'ailleurs, apres une commémo. J'sais pas si c'était la chaleur, mais tout le monde était ému.
Et le p'tit Michel, il était complètement ému ! Alors je lui dis :
"Michel, tu vas pas rentrer dans cet état là à la maison ! Tu vas te faire engueuler par ta bergère ! T'as qu'à venir dormir a la maison. On est pas riche comme Fréjus, mais on peut loger un copain."
J'le monte dans la bagnole. On fait pas 300 mètre ! Nom de Dieu ! On s'fait arrêter par deux gendarmes !
Je dis au plus grand par la taille :
"Faites attention, le p'tit roulé en boule derrière c'est Michel Debré."
L'autre y m'répond :
"Je sais, moi j'suis la Callas, et mon copain, c'est les Beatles."
Ah nom de Dieu !
Ils nous ont emmené à la gendarmerie, eh ben, heureusement que Michel Debré avait le numéro de téléphone d'Alain Delon sur lui....
Sans ça, on y passait la nuit, mon pote !

 

____________________________

© Tous droits réservés / Musique et patrimoine / 2016

Les commentaires sont fermés.