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  • Témoignage : Le retour des déportés des camps de la mort nazis à Carcassonne

    Dans un dossier oublié, conservé aux Archives départementales, j'ai trouvé un mémoire dactylographié rédigé par Henriette Patau-Bousquet. La soeur du poète Joë Bousquet qui oeuvrait à la délégation départementale de la Croix-rouge pendant l'Occupation, y raconte ses souvenirs. J'ai choisi de retranscrire ce qu'elle a vu et vécu au moment du retour des déportés à Carcassonne. Ce texte poignant devrait être lu dans chaque classe d'histoire au collège, lorsqu'on enseigne cette triste période.

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    Nous reçûmes des instructions pour accueillir les rescapés des camps de représailles. Nous devions nous trouver à la gare à partir de 8 heures du soir : deux infirmières et quatre secouristes. Nous attendions le train dans une grande salle, meublée d’un fauteuil et de quelques chaises autour d’une grande table. Le premier train était signalé à neuf heures dans la nuit tombante. Les secouristes passaient sur le quai ; pour descendre, presque porter les hommes qu’on nous renvoyait vêtus d’un pyjama rayé, squelettiques, les yeux effrayés, ils regardaient tous ceux qui venaient à leur rencontre ; et après avoir reconnu leur tenue, ils se laissaient approcher. Doucement, lentement, on les conduisaient vers la pièce où nous les attendions.

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    Nous avions appris que nos gestes d’accueil devaient être lents, calmes, notre voix sans éclats et qu’il fallait en s’occupant d’eux ne pas leur donner l’impression de les contraindre, mais de les aider. Nous remplacions les secouristes et nous les amenions, à leurs pas, vers les sièges ; ils hésitaient, regardaient autour d’eux, qui s’avançaient, finissaient par s’assoir. Devant eux, à portée de leur main, on plaçait un bol de bouillon ou de café : on leur disait de boire. Les uns repoussaient les bols, d’autres s’accoudaient à la table, le visage dans les mains. Au bout d’un moment, on leur offrait des biscuits, des fruits. Quelques-uns commençaient à nous regarder de ce même regard fixe, puis ils s’adaptaient, avançaient parfois vers nous une main glacée que nous gardions dans la nôtre comme celle d’un enfant. Une heure passait ainsi ; des gestes s’esquissaient, les uns se restauraient, d’autres pleuraient convulsivement. 

    Bientôt, leurs papiers arrivés, nous pouvions leur expliquer qu’ils seraient bientôt rendus à leur famille. Ils commençaient alors à réagir. Dans toutes les communes de France, les receveurs des postes avaient l’ordre de rester au poste de téléphone, toute la nuit. Aucun n’y a jamais manqué.

    Un de nous, muni de la fiche d’un arrivant, appelait à quelqu’heure que ce fut le receveur à prévenir et lui confiait la mission de prévenir la famille et de l’envoyer à notre poste pour prendre l’arrivant. Avec précaution, nous prévenions celui qui était désigné et nous cherchions dans le vestiaire un pardessus ou une grande couverture pour recevoir le pyjama rayé. Alors, peu à peu, une lueur plus humaine venait éclairer les yeux de ces hommes jeunes qui ressemblaient à des vieillards abimés par la vie. Bientôt, une voiture se faisait entendre. Un de nous allait chercher la famille, l’autre préparait le prisonnier et nous ne partions qu’après les avoir vus, ensemble, en sécurité. 

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    Le retour fut long, et certains prisonniers durent subir des traitements avant de pouvoir reprendre un métier et une vie normale. On créa une Association des prisonniers de guerre qui aida beaucoup de rentrants. On s’occupa d’eux et des familles les plus touchées et, peu à peu, tous se reprirent à vivre.

    Joë en recevait beaucoup. Tout le temps que dura cette guerre, il n’a jamais cessé d’aider les gens traqués. Il n’a jamais pensé à leur nationalité, leur religion, leur valeur. Ils étaient malheureux et cela, à ses yeux, était la seule chose qui doive compter. Ils avaient besoin d’être aidés. Il fit avec clairvoyance pour les gens malheureux tout ce qu’il put pour les secourir. 

    Qui reste encore ici-bas pour témoigner de ce qu'il a vécu dans ces camps nazis ? Ce ne sont pas, hélas, ces témoignages écrits qui empêcheront l'horreur de se reproduire. Hier c'était les juifs, demain...? Toutefois, notre devoir moral est de la diffuser afin de contrarier les funestes projets des négationnistes d'extreme droite. Avant son décès, le résistant André Saura qui fut de ceux qui revinrent de l'enfer, me raconta la chose suivante. Il ne pesait plus que quelques kilos à son arrivée à Carcassonne. Ce qui lui sauva la vie, c'est d'avoir peu mangé dans les jours qui suivirent. Juste du bouillon. Tous ceux qui se sont jetés sur la nourriture sont morts, tellement l'appareil digestif avait été détruit par les mauvais traitements. Quant l'accueil de la population... Des pestiférés, venus d'on ne sait où, au milieu de gens bien portants. Le reste se passe de commentaires.

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