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  • Entretien avec Gisèle Médus (100 ans), la dernière résistante de Limoux : "La République, ça voulait dire quelque chose"

    Suite à l'article que j'avais produit le 1er août dernier sur Gérard Persillon, commissaire de police à Limoux en 1944, je m'étais mis en quête de connaître ce qu'il était advenu de ses complices de résistance. La recherche généalogique m'a mise sur les traces de Gisèle Médus, sa secrétaire. A mon grand étonnement, j'appris qu'elle venait de fêter ses cent ans. Sa famille me confirma son passé de résistante, en m'indiquant qu'elle avait toujours refusé d'en parler. Je finis par obtenir une interview le 14 août dernier chez elle, à Limoux. Gisèle Médus, malgré sa surdité liée à l'âge, possède une mémoire intacte et une intelligence vive.

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    Pour quelles raisons l’envie de résister s’est-elle imposée à vous ?

    Mon éducation, d’abord. Ma grand-mère a perdu un fils à la guerre de 14. La soeur de maman a perdu un fils à la guerre de 14, aussi. Elle était toute jeune mariée. Son mari est parti, elle attendait un bébé. Il est venu la voir au moment de l’accouchement. Trois jours de permission. C’était une famille enseignante. Il n’est jamais revenu. Ma cousine aînée n’a jamais connu son père. Ça a marqué tout le monde.

    Ce qui fait que la République, ça voulait dire quelque chose.

    Quand il y a eu le soulèvement des espagnols. Un jour - je n’ai pas demandé à savoir, il y a des choses que les parents ne disaient jamais aux enfants. Un beau jour, il y a une petite espagnole qui est arrivée à la maison, qui avait mon âge et que l’on a gardé pendant un an à peu près. Mon père avait eu un contact. Un avocat était venu lui demander de garder cette petite parce que le père avait été fait prisonnier par les franquistes. On a gardé cette petite. Elle est repartie après. Alors j’étais prête à donner. C’est pour ça… La Résistance ça voulait dire quelque chose.

    A ce moment-là dans les écoles, on avait une vieille fille comme institutrice et elle nous faisait chanter « Maréchal nous voilà ! ». On chantait « Maréchal nous voilà ! » en racontant n’importe quoi. Maréchal nous voilà… Qu’est-ce qu’on disait ? « On te bottera les fesses ». Des bêtises comme ça. Quelques fois on était punies. A maman, l’institutrice disait qu’on étaient insolentes. 

    J’ai vu mon père pleurer quand Pétain a demandé l’armistice. Ça m’avait choqué et peiné, vous ne pouvez pas savoir. Je ne comprenais pas. Et je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit : « C’est l’armistice ».

    Déjà pour la Pologne. Quand l’Allemagne est entrée en Pologne, on tricotait des chaussettes pour les Polonais. On avait des correspondantes. On écrivait aux petites filles qui étaient à l’école.

    Comment avez-vous commencé dans la Résistance ?

    Je travaillais à la sous-préfecture comme secrétaire et Persillon se méfiait de ses inspecteurs. Il lui fallait quelqu’un pour faire ses cartes d’identités. Donc, je suis passé à la police. J’avais un petit bureau, les inspecteurs étaient toujours à naviguer, à regarder ce que je faisais. Je suis arrivée là alors que j’étais très fluette. A 17-18 ans, j’avais un corps d’une gamine de 14-15 ans.

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    L'actuelle Police municipale abritait le commissariat en 1944, rue St-Martin

    Persillon m’a dit : « Voilà ! Vous irez chercher le cachet ». Il fallait que j’aille chercher son fameux cachet et le bureau de Persillon était à l’autre bout du commissariat. Comment faire ? J’apportais le courrier à signer et en même temps je raflais les tampons. Je les mettais dans la poche. Arrivée dans le bureau, je fermais la porte. Pas toujours, d’ailleurs. C’était une espèce de petit réduit. Je fabriquais des cartes mais il fallait les faire passer. Ce n’était pas moi qui les distribuais. Les garçons, certains venaient directement les chercher, mais on ne voulait pas être vus par les inspecteurs qui étaient toujours là en train de fouiner partout. Parce qu’à l’époque, il y avait toute une équipe de jeunes qui travaillaient pour Darnand, le chef de la Milice française.

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    La sous-préfecture de Limoux, 12 rue du Palais

    J’avais une amie dont le frère était le chef d’une équipe de miliciens. Une de ses soeurs était une amie et j’allais souvent dans sa famille. Il avait une grosse épicerie. Quand ils recevaient des gens de Paris, ils ne se rendaient pas compte quand ils discutaient. La porte n’était pas fermée. On faisait de la pâtisserie avec mon amie. Tantôt chez elle, tantôt chez moi. Et quand j’étais chez elle, on les entendait discuter et j’ai appris un jour qu’ils avaient su pour un parachutage. J’avais prévenu bien sûr Persillon. Tout ça avait été changé de place. Parce que mon amie, ne faisait pas du tout de politique. Il n’y avait que son frère.

    Lorsque des gens arrivaient d’Angleterre par avion, j’allais chercher les documents dans un hôtel à Limoux dans une rue. C’était de grands résistants. Il a été transformé en restaurant mais n’existe plus. Je ramenais les informations à Persillon.

    Je faisais la liaison avec le maquis de Picaussel. A bord d’un véhicule, je portais des papiers. J’en avais pas besoin, mais c’était tellement drôle. A Belcaire. Mon père était de Belcaire. J’ai des cousins qui ont été pris avec Bayle. Joseph Dieuzère, c’était un cousin germain de papa. Il a été pris, torturé, parti dans un camp de concentration. Ce sont les Russes qui l’ont libéré. Il y avait une très bonne équipe sur le plateau de Sault.

    Votre disparition de Limoux avec Persillon et Albert Marc, racontez-moi ?

    Un jour, il a fallu aller à Vichy prévenir un colonel que De Gaulle réclamait et qui était prisonnier à l’Hôtel du Parc où vivaient Darnand et Pétain. Comment faire pour y aller et qui va y aller ? Et puis, je suis parti avec le commissaire Persillon. Bien sûr, je n’ai pas dit ça à mes parents . Personne n’en savait rien. Je suis partie et j’avais quand même prévenu des amis de mes parents,  qui eux étaient dans la Résistance, en leur disant qu’il faudra que maman déclare que sa fille a disparu. Je n’étais pas majeure ; la majorité était à 21 ans. C’est ce qu’elle a fait, maman, pour ne pas être embêtée car elle était institutrice. Elle distribuait des tracts. On avait caché des petits juives pendant plusieurs jours pour les faire passer. La directrice du lycée habitait en face de chez nous, rue Blanquerie. Et c’est pour ça qu’elle a demandé à maman de les garder. Maman ne savait pas du tout où j’étais. Il y a eu une descente à la maison. On a cherché partout, on a rien trouvé. Je ne laissais rien traîner. 

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    Hôtel du Parc à Vichy, siège du gouvernement

    D’abord, il a fallu traverser la ligne de démarcation. On arrive à Vichy. Persillon avait des contacts avec la Résistance de cette ville. Et de là, on s’est dirigé vers l’Hôtel du Parc. On avait inventé le système : j’étais la nièce du colonel. J’étais de passage et je lui apportais un colis que ma mère avait fait. J’habitais dans le coin. 

    En fait, j’avais la trouille. Je ne me suis pas rendu compte. Je suis restée là. J’avais un mot de passe. A gauche, il y avait les Allemands. A droite, les Français. La personne qui était en tenue, le garde. J’ai donné le mot de passe. Aucune réaction. Alors, je dis : « Je voudrais voir le colonel. Je suis sa nièce et j’apporte un colis ». Attendez un moment, me dit-il. Il revient : « Le colonel n’est pas là ». Ah ! C’est déplorable. Je voudrais quand même le voir. J’ai fait beaucoup de kilomètres. Petit-être que je peux l’attendre ? Ah ! Non, non. Il ne sera pas là, vous pouvez partir.

    Et je suis partie en laissant mon colis. J’ai dû être suivie, je pense. J’avais le commissaire Persillon qui m’attendait à un endroit, assez loin quand même. Et de là, on devait aller dans ce fameux restaurant. On nous a fait mettre à la cave. On a attendu la nuit pour partir. On est venu nous chercher pour nous amener à la gare. On a pris le train. L’un d’un côté, l’autre de l’autre. Les Allemands passaient, demandaient tout le temps les cartes, les laissez-passer. Des laissez-passer on en avait bien sûr, mais ils étaient tous faux. Enfin, des vrais faux. Il est monté une autre équipe allemande de la Gestapo. Là, nous n’étions pas rassurés. A un moment donné, il y a quelqu’un qui est venu là où je me trouvais et qui m’a dit : « Arrivés à Carcassonne, il faudra sauter du train avant l’arrivée ». Sauter du train, je dis ? Mais par où on va passer ?

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    Ancien café Négrail, sur la promenade du Tivoli

    Le train ralentit, le commissaire m’a rejoint. Il était suivi d’autres personnes. On a sauté du train dans les ronces. C’était sale l’entrée de Carcassonne où était la gare des marchandises. On a attendu qu’il fasse nuit pour aller sortir de cet endroit. On a été récupéré. On est entré dans un camion. On nous a mis une bâche dessus. Arrivés à Limoux, on est descendu heureux avant d’entrer dans la cave d’un café. En remontant la rue de la Goutine, c’est le café qui fait le coin (Le Tivoli). Ils étaient de grands résistants. De là, on a attendu quelques jours avec simplement de temps en temps un sandwich. Puis, nous avons embarqué à nouveau dans ce camion. Et en avant ! Il y avait le commissaire et trois autres personnes. J’ai jamais su qui c’était. Lucien Maury en parle dans son livre.

    Effectivement, nous avons relevé le récit d’Albert Marc : « La Résistance dans l’Aude » / Tome 1 / p.385.

    « Le 25 mai, surgit l’inspecteur Pech, affolé : un résistant L. Que nous avons aidé à s’évader a été repris. Martyrisé par la Gestapo, il a lâché mon nom et reconnu que la fausse carte d’identité lui a été transmise par le commissaire Persillon par l’entremise de sa secrétaire Gisèle Médus.

    Une grande réunion a suivi. Gestapo et nervis sont d’avis de m’abattre car disent-ils, celui-là ne parlera jamais. La Milice, si on nous arrête, se fait forte de nous tirer les vers du nez.

    « Tout est mis en place pour la parade grâce à la filière de Claude et Georges. Je vais faire mes adieux à Mazerolles. Dernière rencontre avec Myriel auprès de qui j’insiste. Il est brûlé lui aussi, il doit se camoufler. Il m’embrasse et s’en va. Presqu’aussitôt, vers 15 heures 30, alors que le marché du vendredi bât son plein, on m’avise de l’arrivée de la Gestapo. Je saute du jardin de la sous-préfecture sur les berges de l’Aude, contourne, arrive sur la place, rencontre le meilleure amie de ma mère, Madame Font. Bien que bouleversée, elle consent à m’accompagner tremblant de tous ses membres, vers la rue de la sous-préfecture. Ces messieurs sont devant le grand portail, recevant signes de la rue voisine. Il y a donc des complices sur place. Avertis, je ne sais de quoi, ils repartent.

    Je m’éloigne et, prévenu que les gestaltistes vont vers le commissariat où se trouve notre ami Dedieu, de Carcassonne, je parviens à les avertir. Se croyant bien informés, ces messieurs arrivent trop tard, le gibier s’est envolé. Quel beau coup de filet manqué !

    A la nuit, nous rejoignons la maison du T.R, près du café Négrail. Un fort-Chabrol est installé avec armes de toutes sortes. Epuisé, je finis par m’endormir. Le Dr Marot, de Quérigut, vient nous prendre avec son vieux tacot gazo que nous poussons jusqu’à la sortie de la ville.

    C’est Quérigut, la famille Marot, les amis du maquis, puis à pied jusqu’à Formiguères, l’inoubliable famille Soubielle-Chinaud, les gendarmes du brigadier Botet, Saillagouse, Llo, Nuria.

    Et ensuite, que s’est-il passé ?

    Arrivés à Formiguères, on est allé chez un passeur. Un paysan âgé. Il nous a offert la soupe, qui était la bienvenue et on est parti de nuit. J’avais une robe, des socquettes et des chaussures en bois. 

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    Le contre torpilleur "La trombe" en 1945

    Arrêt dans une grange où on a couché. Les soldats gardaient ce coin. Il y en a un qui voulait absolument entrer là-dedans. On était caché dans le foin, il ne fallait pas éternuer. On en avait envie. Heureusement, il y en a un parmi nous qui parlait allemand qui a entendu ce qu’ils racontaient. Ils faisaient la ronde. Un vieux les a détournés d’entrer : « Pas la peine, c’est un vieux qui y met ses moutons, du foin. C’est sale ». Ils ont fumé la cigarette et n’ont pas pu ouvrir la porte. Heureusement. Ils sont partis. On a attendu la nuit, passé des barbelés, etc. A la frontière, aucun n’avait appris l’espagnol. Je me débrouillais assez bien. J’ai pris les billets pour tout le monde. Arrivés à Barcelone, on était attendus. De là, on nous a amené au poste. Calle Butanero, c’était. Et puis, chacun est parti. J’ai plus revu le monde avec qui j’étais. Je suis restée à Barcelone et puis vers Alger. J’ai ensuite voyagé avec un régiment sur le contre-torpilleur La Trombe avec un régiment. Nous sommes ensuite remontés vers Paris où j’ai défilé en même temps que le général de Gaulle.

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    Le général de Gaulle sur les Champs-Elysées lors de la libération de Paris

    J’ai lu que le commissaire Persillon avait sauvé 50 otages limouxins avec Albert Marc, que les Allemands voulaient exécuter. Un soldat avait disparu. Ils ont convaincu les Allemands que c’était pour une affaire de moeurs. L’affaire en resta là. Qu’en savez-vous ?

    Oui ! A l’Allemand, on lui a fait : « Couic ». Quand on pouvait en attraper un, dit-elle avec beaucoup de malice.

    Pour quelles raisons n’avez-vous jamais parlé de votre action résistante ?

    J’en ai parlé seulement aux militaires en Indochine, car mon mari était officier d’artillerie. Je l’ai suivi là-bas, où j’ai connu la famille impériale du prince Sihanouk. Tout comme les généraux félons qui ont été répudiés par de Gaulle en Algérie ensuite.

    Depuis mon départ de Limoux en mai 1944, ça a été une coupure avec tout le monde. Vous savez, quand je suis revenue d’Indochine, j’ai appris tellement de choses en arrivant. Des gens qui avaient oeuvré pour Vichy et qui, au dernier moment, étaient de grands résistants. Ça m’a écoeurée ! Je ne voulais plus entendre parler de Résistance. 

    Il y a des gens qui étaient collabos et qui, au dernier moment, sont devenus des résistants ?

    Oui ! (Grand silence…)

    Je remercie vivement Madame Médus et sa fille pour leur confiance

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